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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

son frère. Voilà le dessous de cartes découvert : peu de politiques en pourraient laisser voir autant.

En 1814, au sénat, il signa la déchéance, mais ce ne fut qu’avec une vive émotion, et en prenant beaucoup sur lui ; il fallut que M. de Talleyrand le tînt quelque temps à part, et, par les raisons de salut public, le décidât. On l’a accusé, je ne sais sur quel fondement, d’avoir rédigé l’acte même de déchéance, et je n’en crois rien[1]. Mais il n’en est peut-être pas ainsi d’autres actes importans et mémorables d’alors, sous lesquels il y aurait lieu à meilleur droit, et sans avoir besoin d’apologie, d’entrevoir la plume de M. de Fontanes. Cela se conçoit : il était connu par sa propriété de plume et sa mesure ; on s’adressait à lui presque nécessairement, et il rendait à la politique, dans cette crise, des services de littérateur, services anonymes, inoffensifs, désintéressés, et auxquels il n’attachait lui-même aucune importance. Mais voici à ce propos une vieille histoire.

On était en 1778 ; deux beaux-esprits qui voulaient percer, M. d’Oigny et M. de Murville, concouraient pour le prix de vers à l’Académie française. Quelques jours avant le terme de clôture fixé pour la réception des pièces, M. d’Oigny va trouver M. de Fontanes et lui dit : « Je concours pour le prix, mais ma pièce n’est pas encore faite, il y manque une soixantaine de vers ; je n’ai pas le temps, faites-les moi. » Et M. de Fontanes les lui fit. M. de Murville, sachant cela, accourt à son tour vers M. de Fontanes : « Ne me refusez pas, je vous en prie, le même service. » Et le service ne fut pas refusé. On ajoute que les passages des deux pièces, que cita avec éloge l’Académie, tombèrent juste aux vers de Fontanes.

Ce que M. de Fontanes, poète, était en 1778, il l’était encore en 1814 et 1815 ; l’anecdote, au besoin, peut servir de clé[2]. — Les

  1. On croit savoir, au contraire, que la rédaction de cet acte est de Lambrechts.
  2. Fontanes, littérateur, aimait l’anonyme ou même le pseudonyme. Il publia la première fois sa traduction en vers du passage de Juvénal sur Messaline sous le nom de Thomas, et, pour soutenir le jeu, il commenta le morceau avec une part d’éloges. Je trouve (dans le catalogue imprimé de la bibliothèque de M. de Châteaugiron) une brochure intitulée : Des Assassinats et des Vols politiques, ou des Proscriptions et des Confiscations, par Th. Raynal (1795), avec l’indication de Fontanes, comme en étant l’auteur sous le nom de Raynal ; mais ici il y a erreur : l’ouvrage est de Servan. Dans les petites Affiches ou feuilles d’annonces du 1er  thermidor an VI, se trouvent des vers sur une violette donnée dans un bal :

    Adieu, violette chérie,
    Allez préparer mon bonheur…

    La pièce est signée Senatnof, anagramme de Fontanes. Dans le Journal littéraire, où il fut collaborateur de Clément, il signait L, initiale de Louis. Il deviendrait presque piquant de donner le catalogue des journaux de toutes sortes auxquels il a participé, tantôt avec Dorat (Journal des Dames), tantôt avec Linguet (Journal de Politique et de Littérature), tantôt, je l’ai dit, avec Clément. Avant d’être au Mémorial avec La Harpe et Vauxcelles, il fut un