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REVUE DES DEUX MONDES.

recueil s’adresse et se confie particulièrement à ceux qui ont encore de la piété littéraire.

C’est une urne sur un tombeau : qu’y a-t-il d’étonnant que quelques-unes des couronnes de l’autre hier y soient déjà fanées ? J’y vois une harmonie de plus, un avertissement aux jeunes orgueils de ce qu’il y a de si tôt périssable dans chaque gloire.

M. de Fontanes représente exactement le type du goût et du talent poétique français dans leur pureté et leur atticisme, sans mélange de rien d’étranger, goût racinien, fénelonien, grec par instans, toutefois bien plus latin que grec d’habitude, grec par Horace, latin du temps d’Auguste, voltairien du siècle de Louis XIV. Je crois pouvoir le dire : celui qui n’aurait pas en lui de quoi sentir ce qu’il y a de délicat, d’exquis et d’à peine marqué dans les meilleurs morceaux de Fontanes, le petit parfum qui en sort, pourrait avoir mille qualités fortes et brillantes, mais il n’aurait pas une certaine finesse légère, laquelle jusqu’ici n’a manqué pourtant à aucun de ceux qui ont excellé à leur tour dans la littérature française. Le temps peut-être est venu où de telles distinctions doivent cesser, et nous marchons, des voix éloquentes nous l’assurent, à la grande unité, sinon à la confusion, des divers goûts nationaux, à l’alliance, je le veux croire, de tous les atticismes. En attendant, M. de Fontanes nous a semblé intéressant à regarder de très près. Il était à maintenir dans la série littéraire française comme la dernière des figures pures, calmes et sans un trait d’altération, à la veille de ces invasions redoublées et de ce renouvellement par les conquêtes. Qu’il vive donc à son rang désormais, paisible dans ce demi-jour de l’histoire littéraire qui n’est pas tout-à-fait un tombeau ! Qu’un reflet prolongé du XVIIe siècle, un de ces reflets qu’on aime, au commencement du XVIIIe, à retrouver au front de Daguesseau, de Rollin, de Racine fils et de l’abbé Prévost, se ranime en tombant sur lui, poète, et le décore d’une douce blancheur !


Sainte-Beuve.


(Sans parler des personnes dont les noms, cités en passant dans l’article, indiquent assez les obligations que je leur ai pour les renseignemens biographiques, je dois remercier tout particulièrement M. de Langeac, un des plus anciens, des plus utiles amis de M. de Fontanes avant 1789, et qui, par un retour de fortune, lui dut ensuite de devenir conseiller ordinaire et chef du secrétariat-général de l’université ; et aussi M. Rousselle, aujourd’hui inspecteur général des études, long-temps attaché au cabinet de M. de Fontanes et assidu dans son intimité.)