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et c’est ce que la France a fait peu de temps après, en protégeant dès le premier jour, contre l’intervention prussienne, l’indépendance naissante de la Belgique, résolution courageuse et habile dont l’honneur revient à M. Molé. La distribution des forces et des territoires en Europe, on la reconnaissait, pourvu que les petits états fussent garantis contre tout empiétement ultérieur des grandes puissances ; et c’est encore ce qu’on a fait en Italie, quand la France y a envoyé ses troupes après la seconde invasion des Autrichiens, pour ne s’en retirer qu’avec eux. Enfin, on renonçait à la propagande libérale, mais dans l’espoir fondé que l’exemple d’un gouvernement qui réaliserait le difficile accord du pouvoir ou de l’ordre avec la liberté, serait tout puissant sur l’Europe et finirait par y acquérir une force irrésistible.

Voilà pourtant, monsieur, ce qu’on a voulu, le système de politique extérieure qu’on a délibérément adopté le lendemain de la révolution de juillet ; voilà le jugement que tous les pouvoirs publics ont sanctionné et confirmé tour à tour après des débats contradictoires, en plusieurs circonstances décisives, qui semblaient provoquer et auraient pu justifier un changement de direction. Je ne sais si je vous ai bien rendu ma pensée et celle des autres, mais je crois que vous aurez retrouvé dans ces quelques mots la substance de ces longs et éloquens discours, de ces improvisations si soudaines et si heureuses qui ont tant de fois raffermi l’opinion chancelante des assemblées législatives, et désarmé les peuples prêts à se ruer de nouveau les uns contre les autres. Était-ce donc lâcheté, crainte d’avoir à livrer un combat inégal ? Était-ce l’effet d’une indigne connivence avec les ennemis de la liberté ? Car on supposait tout alors comme aujourd’hui, avec cette différence que les adversaires ne sont plus les mêmes, et vous trouveriez cette révoltante supposition adoptée de bonne foi par le général Lafayette, dans une lettre confidentielle, écrite, si je ne me trompe, sous le ministère du 11 octobre. Mais non : ce n’était ni lâcheté, ni coupable complaisance pour les puissances étrangères. C’était, de la part des hommes éminens qui avaient la responsabilité de cette politique, une conviction pleine et entière, que le besoin de la paix tenait la première place dans les nécessités générales de l’Europe, que nous ne serions pas attaqués chez nous, si nous n’allions pas attaquer les autres ; que la modération et le désintéressement feraient au roi et à son gouvernement autant d’honneur qu’une politique ambitieuse et conquérante, que personne en Europe ne se méprendrait sur le véritable principe de cette modération, et qu’enfin la France, avec ses trente-trois millions d’ames, son admirable unité, la vigueur des ressorts de son administration, sa constitution territoriale, le caractère de ses enfans et la concentration de ses ressources, pouvait toujours se suffire à elle-même et braver tous ses ennemis, sous un gouvernement qui n’aurait ni épuisé ses forces, ni aliéné son affection.

Ah ! si les circonstances extérieures avaient totalement changé de face ; si nous avions plus d’ennemis qu’en 1830 ; si quelque nouvelle coalition de Pilnitz