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VOYAGEURS ET GÉOGRAPHES MODERNES.

les anciens, couronne cette série de travaux par une théorie céleste, paradoxe immense qui a eu la vertu de durer quatorze siècles.

Dans la géographie descriptive, les tâtonnemens ne sont pas moindres. Chez les premiers Grecs, c’est le bouclier d’Achille qui la résume. La fable se mêle à la réalité : on connaît déjà les noms d’Asie et d’Europe, on distingue ces deux régions, on les caractérise, on les décrit ; mais bientôt arrive la fiction, et alors paraissent les Cimmériens, peuplades plongées dans d’éternelles ténèbres, les Hyperboréens dotés d’un printemps éternel ; puis les Champs-Élysées, terre des ames heureuses ; enfin l’Atlantide et la Méropide, songes de poètes sur lesquels devaient enchérir plus tard Platon et Théopompe. Cependant, même dans ces temps de croyances naïves, des observateurs sérieux sillonnaient la Méditerranée et visitaient régulièrement ses cités commerçantes. Les Phéniciens, les Carthaginois avaient semé le littoral de colonies nombreuses liées aux métropoles par une navigation active. Avant tous les autres, ces peuples franchirent les colonnes d’Hercule, formidable limite du monde primitif, et poussèrent leurs découvertes, avec Hamilcon, jusqu’aux attérages de la Grande-Bretagne ; avec Hannon, le long des côtes occidentales de l’Afrique, jusqu’à la hauteur du cap Bojador. Les Égyptiens, de leur côté, semblent avoir poursuivi sur le littoral opposé des explorations analogues, dont M. Étienne Quatremère a exagéré, après Hérodote, l’étendue et l’importance. Enfin, le roi des Perses, Darius, fit aussi exécuter, dans l’Océan indien, par Scylax de Cariandre, un périple qui dut comprendre le golfe Persique et une portion de la mer Rouge. Mais les récits de ces expéditions diverses sont si fabuleux et si confus, ils se sont si évidemment travestis sous la plume des rapsodes, toujours enclins au merveilleux, qu’on ne saurait les accueillir avec trop de réserve et trop de défiance.

Dans les âges suivans, le monde s’ébranle, les peuples s’entre-choquent, et il en jaillit des étincelles qui éclairent quelques existences obscures. Cambyse ouvre cette période agitée : il lance la Perse sur l’Égypte et sème les sables libyens des cadavres de ses soldats. Dès lors un mouvement alternatif s’établit entre l’Asie et l’Europe, dans lequel le rôle d’agresseur passe incessamment de l’une à l’autre : Xercès vient frapper aux portes de la Grèce avec un million d’hommes ; Alexandre pousse ses conquêtes jusqu’aux limites du monde connu. L’Inde n’est plus un mystère ; Diagnetus et Beton la décrivent ; Néarque en explore le littoral ; Pythéas opère sur un autre point et découvre cette ultime Thule des anciens, objet de tant de controverses.