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disent, et dont le corps était desséché par les jeûnes et les macérations, celui-là, à coup sûr, était de bonne foi ; souvent il m’a fait envie. Une nuit, ma lampe s’éteignit, je n’avais pas achevé mon travail ; je cherchai de la lumière dans le cloître, j’en aperçus dans sa cellule ; la porte était ouverte, j’y pénétrai sans bruit pour ne pas le déranger, car je le supposais en prières. Je le trouvai endormi sur son grabat ; sa lampe était posée sur une tablette tout auprès de son visage et donnant dans ses yeux. Il prenait cette précaution toutes les nuits depuis quarante ans au moins, pour ne pas s’endormir trop profondément et ne pas manquer d’une minute l’heure des offices. La lumière, tombant d’aplomb sur ses traits flétris, y creusait des ombres profondes, ravages d’une souffrance volontaire. Il n’était pas couché, mais appuyé seulement sur son lit et tout vêtu, afin de ne pas perdre un instant à des soins inutiles. Je regardai long-temps cette face étroite et longue, ces traits amincis par le jeûne de l’esprit encore plus que par celui du corps, ces joues collées aux os de la face comme une couche de parchemin, ce front mince et haut, jaune et luisant comme de la cire. Ce n’était vraiment pas un homme vivant, mais un squelette séché avec la peau, un cadavre qu’on avait oublié d’ensevelir, et que les vers avaient délaissé, parce que sa chair ne leur offrait point de nourriture. Son sommeil ne ressemblait pas au repos de la vie, mais à l’insensibilité de la mort ; aucune respiration ne soulevait sa poitrine. Il me fit peur, car ce n’était ni un homme ni un cadavre ; c’était la vie dans la mort, quelque chose qui n’a pas de nom dans la langue humaine, et pas de sens dans l’ordre divin. C’est donc là un saint personnage ? pensais-je. Certes, les anachorètes de la Thébaïde n’ont ni jeûné, ni prié davantage, et pourtant je ne vois ici qu’un objet d’épouvante, rien qui attire le respect, parce que tout ici repousse la sympathie. Quelle compassion Dieu peut-il avoir pour cette agonie et pour cette mort anticipée sur ses décrets ? Quelle admiration puis-je concevoir, moi homme, pour cette vie stérile et ce cœur glacé ? vieillard qui chaque soir allumes ta lampe, comme un voyageur pressé de partir avant l’aurore, qui donc as-tu éclairé durant la nuit, qui donc as-tu guidé durant le jour ? À qui donc ton long et laborieux pèlerinage sur la terre a-t-il été secourable ? Tu n’as rien donné de toi à la terre, ni la substance de la reproduction animale, ni le fruit d’une intelligence productive, ni le service grossier d’un bras robuste, ni la sympathie d’un cœur tendre. Tu crois que Dieu a créé la terre pour te servir de cuve purificatoire, et tu crois avoir assez fait pour elle en lui léguant tes os ! Ah ! tu as raison de craindre et de