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SPIRIDION.

inévitables de tes austères préceptes, tes descendans ont abusé du pouvoir sacré, ils ont souillé la gloire de ton nom. Ils ont fait servir ta doctrine terrible et sainte à satisfaire de honteuses passions, des vengeances féroces, des ambitions insensées. Et maintenant tes successeurs sont des scribes, et des pharisiens, et des docteurs de la loi, des faussaires, des hypocrites et des infâmes, qui se servent de ta parole et de ton autorité pour arrêter mes prédications et persécuter mes adeptes.

« Alors la voix de Moïse répondit : — Ils s’en serviront, ô mon fils, pour t’abreuver d’opprobres, pour te condamner à la mort, pour te suspendre à un gibet, toi et tes disciples. Prends donc courage, car mon esprit est avec toi, il est en toi, et tu es mon héritier sur la terre. Ton supplice va sanctionner la vérité de tes paroles, et tu seras la grande victime divinisée devant laquelle deux mille générations plieront les genoux. Et cependant un jour viendra où ta loi aura le même sort que la mienne, où ton nom sera profané comme le mien, où des pontifes et des rois se serviront de ta parole et de ton autorité pour persécuter, condamner à mort, et livrer aux plus affreux supplices les prophètes nouveaux qui viendront continuer et perfectionner ta doctrine. Va donc en paix. Ceci est la loi de l’humanité. La vérité ne peut marcher qu’escortée de l’ignorance et de l’imposture. Elle ne peut régner sans que ses ministres usurpent son sceptre et l’assassinent en secret pour tyranniser les consciences en son nom. Mais cette loi est nécessaire et ses effets sont providentiels. Nous sommes des instrumens dans la main de Dieu ; humilions-nous, et gémissons d’être la cause de si grands maux ; mais aussi souvenons-nous que nous sommes la cause de plus grands biens. Que notre orgueil ne s’irrite pas de n’avoir pas atteint l’idéal. Qu’il nous suffise d’être sur la route. D’autres prophètes, d’autres messies viendront, et jamais ces grandes ames ne manqueront aux grands besoins de l’humanité.

« Alors, au lieu d’un ange, j’en vis trois, qui abaissaient leur vol vers Jésus, ou plutôt c’était un ange triple qui résumait en lui Moïse, David, Élie. Ils présentaient aux lèvres de Jésus une coupe d’or, symbole de liberté et de vérité. Et alors le Nazaréen se leva fortifié et consolé, et il marcha vers ceux qui venaient le lier pour le conduire devant les princes des prêtres, et je vis dans ses yeux quelque chose de divin qui me força de me prosterner et de m’écrier : — Ô homme divin, ô fils de Dieu !… Et il se tourna vers moi en me disant : — Nous sommes tous fils de Dieu, nous sommes tous des hommes divins,