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prophétique qui t’a consolé ; car ton grand cœur a dû oublier sa propre souffrance en apercevant l’avenir de la race humaine tournée vers l’idéal. Ainsi donc je suis arrivé au même résultat que toi. Quoique ta vie ait été consacrée seulement aux études théologiques, et que la mienne ait embrassé un plus large cercle de connaissances, nous avons trouvé la même conclusion. C’est que le passé est fini et ne doit point entraver l’avenir ; c’est que notre chute est aussi nécessaire que l’a été notre existence ; c’est que nous ne devons ni renier l’une, ni maudire l’autre. Eh bien ! Spiridion, dans l’ombre de ton cloître et dans le secret de tes méditations, tu as été plus grand que ton maître ; car celui-ci est mort en jetant un cri de désespoir et en croyant que le monde s’écroulait sur lui, et toi tu t’es endormi dans la paix du Seigneur, rempli d’un divin espoir pour la race humaine. Oh ! oui, je t’aime mieux que Bossuet, car tu n’as pas maudit ton siècle, et tu as noblement abjuré une longue suite d’illusions, incertitudes respectables, efforts sublimes d’une ame ardemment éprise de la perfection. Sois béni, sois glorifié : le royaume des cieux appartient à ceux dont l’esprit est vaste et dont le cœur est simple.

Il passa deux heures à commenter et à m’expliquer ce manuscrit ; puis il me le remit avec ses propres écrits, et me dit de prendre les précautions nécessaires pour qu’ils ne fussent ni égarés dans les évènemens qui pouvaient survenir, ni saisis par les moines. — Car tu le sais, me dit-il en se mettant en devoir de se lever, l’heure est venue.

— Quelle heure donc, lui dis-je, et que voulez-vous faire ? Ces paroles ont déjà frappé mon oreille cette nuit, et je croyais avoir été le seul à les entendre. Dites, maître, que signifient-elles ?

— Ces paroles, je les ai entendues, me répondit-il ; car, pendant que tu descendais dans le tombeau de notre maître, j’avais ici un long entretien avec lui.

— Vous l’avez vu ? lui dis-je.

— Je ne l’ai jamais vu la nuit, répondit-il, mais seulement le jour, à la clarté du soleil. Je ne l’ai jamais vu ni entendu en même temps : c’est la nuit qu’il me parle, c’est le jour qu’il m’apparaît. Cette nuit, il m’a dit tout ce que nous venons de lire et plus encore, et, s’il t’a ordonné d’exhumer le manuscrit, c’est afin que jamais le doute n’entrât dans ton ame au sujet de ce que les hommes de ce siècle appelleraient nos visions et nos délires.

— Délires célestes, m’écriai-je, et qui me feraient haïr la raison, si la raison pouvait en anéantir l’effet ! Mais ne le craignez pas, mon