Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
237
SPIRIDION.

père ; je porterai à jamais dans mon cœur la mémoire sacrée de ces jours d’enthousiasme.

— Maintenant, viens ! dit Alexis, en se mettant à marcher dans sa cellule d’un pas assuré, et en redressant son corps brisé avec la noblesse et l’aisance d’un jeune homme.

— Eh quoi ! vous marchez ! vous êtes donc guéri ? lui dis-je ; ceci est un prodige nouveau.

— La volonté est seule un prodige, répondit-il, et c’est la puissance divine qui l’accomplit en nous. Suis-moi, je veux revoir le soleil, les palmiers, les murs de ce monastère, la tombe de Spiridion et de Fulgence ; je me sens possédé d’une joie d’enfant ; mon ame déborde. Il faut que j’embrasse cette terre de douleurs et d’espérances, où les larmes sont fécondes, et que nos genoux, fatigués de prières, n’ont pas creusée en vain.

Nous descendîmes au jardin ; plusieurs moines s’y promenaient. En voyant passer Alexis, qu’ils croyaient mourant, ils furent comme saisis d’épouvante, et l’un d’eux murmura ces mots : — Les morts ressuscitent, cela présage quelque malheur. — Oui, sans doute, dit Alexis quand ils se furent éloignés, cela présage un malheur pour vous.

Il prit mon bras, car il trouvait que je ne marchais pas assez vite, et il m’entraîna sous les palmiers. Il contempla quelque temps la mer et les montagnes avec délices ; puis, se retournant vers le nord, il me dit : — Ils viennent ! ils viennent avec la rapidité de la foudre !

— Qui donc ? mon père.

— Les vengeurs terribles de la liberté outragée. Peut-être les représailles seront-elles insensées. Qui peut se sentir investi d’une telle mission, et garder le calme de la justice ? Les temps sont mûrs ; il faut que le fruit tombe ; qu’importent quelques brins d’herbe écrasés ?

— Parlez-vous des ennemis de notre pays ?

— Je parle de glaives étincelans dans la main du dieu des armées. Ils approchent, l’esprit me l’a révélé, et ce jour est le dernier de mes jours, comme disent les hommes. Mais je ne meurs pas, je ne te quitte pas, Angel, tu le sais.

— Vous allez mourir, m’écriai-je en m’attachant à son bras avec un effroi insurmontable, oh ! ne dites pas que vous allez mourir ! Il me semble que je commence à vivre d’aujourd’hui.

— Telle est la loi providentielle de la succession des êtres et des choses, répondit-il. Ô mon fils, adorons le Dieu de l’infini ! Cette mer embrasée des feux du soleil est pour nos faibles yeux un spectacle sublime ; mais ce rayon de l’astre immense qui traverse l’im-