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maître un de leurs grands, c’est-à-dire un des hommes les plus considérables et les plus capables de leur société. Il leur rend la justice et commande leurs armées, et sa noblesse est mise fort au-dessus de celle des autres, ou plutôt il est le seul homme de son royaume en qui résident noblesse et dignité. Mais dans les sociétés arabes, rien de si commun que les vertus royales. La générosité, la droiture, la grandeur d’ame et le courage sont chez eux des qualités si vulgaires, qu’ils se disent tous rois. Pas un qui consente à payer tribut à qui que ce soit, ou dont l’ame ne se soulève à la pensée d’une soumission qu’il assimile à l’esclavage. — Après avoir exprimé ton opinion sur les Arabes considérés en masse, tu as fait une exception en faveur de ceux du Yaman. Ô Kiorâ ![1] ton aïeul et ton père[2] savaient ce que vaut un roi de Himyar, et le roi de Himyar[3] sait ce que valent les Arabes du désert. Vaincu par l’Éthiopien et chassé de son royaume, quand le roi de Himyar vint implorer le secours de ton aïeul, il lui parut si chétif, que le grand Anouschirwân ne daigna point armer pour lui. Alors il se tourna vers ses voisins du désert, qui, fort heureusement pour lui, répondirent à son appel ; car, s’il n’eût trouvé chez eux des gens capables de faire le coup de lance, de harceler les ahhrâr (les Persans) et de charger à fond les kouffâr (les Éthiopiens), il n’eût jamais revu ses états. »

Chosroès admira l’éloquence de Noumân, et lui fit donner, en le congédiant, un habillement complet tiré de la garde-robe impériale.

Ce tableau, tracé il y a douze siècles, est encore ressemblant (sauf un seul trait, l’infanticide) partout où les Turcs n’ont point pénétré, c’est-à-dire sur un territoire égal à la somme des superficies de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre. On peut même dire que le type originel n’est pas complètement effacé sur les points où l’invasion s’est assise victorieuse.

La puissance de Mohammed-Aly s’étend du nord au sud de l’Arabie sur une longueur presque entièrement littorale de cinq à six cents lieues communes de France, mais manque de profondeur, si ce n’est de Médine à Deriyyèh, capitale des Wahhâbites orientaux. C’est une ligne dans le sens géométrique, une véritable puissance linéaire, du

  1. Kiorâ est la forme arabe du nom persan Khosrou, dont les Grecs de Byzance ont fait Chosroès.
  2. L’aïeul du roi est Khosrou-Anouschirwân ou Chosroès-le-Grand, et son père est Hourmouz ou Hormisdas IV.
  3. Le roi de Himyar est Sayf, fils de Dhou-Yazan. Selon Aboulfeda, les secours accordés a ce prince par le roi de Perse se bornèrent à quelques centaines de malfaiteurs ramassés dans les prisons.