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riyâl, ou dollar, ou tallari ; en bon français l’amour de la pièce de cinq francs. Ahmed-Pacha, qui connaît parfaitement ce faible des Arabes, et qui préfère les voies de conciliation à l’emploi de la force, a déjà versé dans le Hidjâz un capital immense. Que lui importe l’épuisement du trésor ? c’est son oncle qui paie. En cas de décès de cet oncle, il n’aurait garde de venir au Caire réclamer sa part de l’héritage ; son cousin, Ibrahim-Pacha-l’Ancien, lui fait une peur trop horrible. Qu’on lui garantisse son petit royaume de la Mecque en pur viager, et il sera au comble de ses vœux ; il ne cherchera même pas à s’arrondir, si cela peut faire ombrage à son redoutable cousin. Pour le moment, sa grande affaire est de gagner le cœur des Arabes, et je crois qu’il a obtenu, en ce genre, tout le succès auquel un étranger pouvait raisonnablement prétendre. Quoique les Arabes tiennent beaucoup à leur nationalité, ils ne repoussent jamais l’or de l’étranger. Peut-être même plusieurs d’entre eux, au moins, dans le Hidjâz, préféreraient-ils le gouvernement d’un osmanli généreux à celui d’un shérif exacteur. Mais Ahmed-Pacha ne devrait pas perdre de vue que l’amitié de ces Arabes-là (qu’il faut bien se garder de confondre avec les Arabes indépendans, tels que les Anazèh ou les Yâfè) se conserve précisément comme elle s’acquiert, c’est-à-dire avec de l’argent, et que le jour où, le trésor de son oncle lui étant fermé, il ne pourra plus alimenter la cupidité de ses chers amis, il lui faudra dire adieu à leur amitié. Ne parlons que de ce qui se passe sous nos yeux. Recevant d’une main les largesses d’Ahmed[1], ils tendent l’autre à son ennemi de l’Assîr, aussitôt que la chance paraît tourner en sa faveur. Notre pacha en a fait l’expérience dans la dernière campagne, dont le succès, fort heureusement pour lui, ne dépendait point de ses misérables alliances ; et l’on dirait qu’enfin il a ouvert les yeux, puisqu’il s’est décidé à frapper sur la tribu de Zahrân une contribution de douze mille tallaris (écus d’Autriche). Puisse cette somme être consacrée à nourrir, à vêtir ses pauvres soldats, qui, trop souvent, manquent du nécessaire, et ont été presque toujours sacrifiés aux exigences du peuple conquis. Ahmed-Pacha ne peut pas ignorer que c’est au dévouement de ses Égyptiens qu’il doit le recouvrement d’une portion de son territoire[2].

  1. Le général en chef de l’armée d’Arabie souffre que les Bédouins l’appellent Ahmed tout court, et le traitent avec la dernière familiarité. Le même homme, recevant un colonel de son armée qui a peut-être une communication importante à lui faire, le laissera deux heures debout avant de lui adresser un mot.
  2. L’évènement auquel je fais allusion est la dernière victoire remportée sur Aïd-Ibn-