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REVUE. — CHRONIQUE.

menaçait de s’emparer des affaires. Le ministère du 13 mars et son attitude vis-à-vis les partis, rassurèrent l’Europe ; sa politique extérieure acheva de la calmer. Grace aux explications de M. Molé, on sait maintenant ce que fut l’expédition d’Ancône, dirigée à la fois dans l’intérêt de la tranquillité de l’Europe et de la dignité de la France. Le ministère du 15 avril entendrait-il bien ces doubles intérêts, s’il avait déchiré la convention faite par Casimir Périer, et suivi l’esprit de la dépêche du 14 mars 1836 ? Eh ! quoi, ce qui a pu faire la gloire de Casimir Périer, ce qui a été sa force, le respect religieux des engagemens contractés au nom de la France, le ministère actuel ne pourrait l’imiter sans honte et sans faiblesse ? Et les reproches qu’on a faits au ministère, au sujet d’Ancône, ne les lui faisait-on pas quelques jours avant au sujet de la Belgique ? Voulait-on aussi déchirer le traité des 24 articles, et se trouverait-il aussi dans les cartons du ministère des affaires étrangères quelque dépêche qui recommanderait à notre ambassadeur à Londres, d’exprimer l’opinion que l’acceptation du roi de Hollande ne doit pas entraîner l’adhésion de la France, qui a signé le traité il y a huit ans ? Disons-le, cette politique est contraire à celle que nous avons suivie depuis la révolution de juillet, et qui nous a valu l’estime de l’Europe ; elle est contraire à tous les antécédens de M. Thiers, et tout le talent de M. Thiers lui-même, s’il avait changé à cet égard, n’en ferait jamais la politique de la France. Mais M. Thiers n’a pas changé. Il dira sans doute aujourd’hui que sa dépêche tendait plutôt à ajourner la question qu’à l’écarter définitivement ; il montrera la démarche qu’il commandait comme une manière d’amener des négociations sur une autre base, et il laissera, sans doute, à l’extrême gauche, les frais de son enthousiasme pour un acte qui n’est pas ce qu’elle voudrait en faire. Toutefois, M. Thiers n’échappera pas au reproche qu’on pourra lui faire d’avoir dévié, en cette circonstance, de ses propres sentimens de dignité nationale et de loyauté ; car rien n’autorise à méconnaître un engagement, pas même l’intention qu’on aurait d’en contracter un autre. Ce n’est pas nous qui apprendrons à M. Thiers ces belles paroles d’un célèbre négociateur. « Toutes les affaires roulent sur des conventions à qui la vérité peut seule donner de la consistance. Si la droiture manque dans les contrats, la négociation devient un jeu, où aucun avantage ne devient stable, et où il faut recommencer toujours le même manége. La bonne politique et la morale ne font donc qu’une seule science, et l’on peut dire que ce qui est bon en morale, en politique l’est deux fois. »

Nous avons commencé en citant un passage d’un écrit de M. Thiers. Ce fragment explique mieux que nous ne le pourrions faire la situation où se trouvent les hommes de talent qui figurent dans la coalition. Ils sont les uns pour les autres des démentis, et chacun d’eux est individuellement un mensonge auprès de son voisin. Nous ne voulons pas aller plus loin que n’a été M. Thiers, et nous nous refusons à admettre que ces hommes puissent être aussi des démentis à eux-mêmes et à leur propre passé. Les explications du