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L’ABBESSE DE CASTRO.

Et il repartit au galop pour l’endroit où avait eu lieu le combat d’avant-garde. Jules commandait à peu près en second la compagnie de Ranuce ; il suivit le prince qui, arrivé près du cadavre de ce brave soldat qui gisait entouré de plus de cinquante cadavres ennemis, descendit une seconde fois de cheval pour prendre la main de Ranuce. Jules l’imita, il pleurait.

— Tu es bien jeune, dit le prince à Jules, mais je te vois couvert de sang, et ton père fut un brave homme, qui avait reçu plus de vingt blessures au service des Colonna. Prends le commandement de ce qui reste de la compagnie de Ranuce et conduis son cadavre à notre église de la Petrella ; songe que tu seras peut-être attaqué sur la route.

Jules ne fut point attaqué, mais il tua d’un coup d’épée un de ses soldats qui lui disait qu’il était trop jeune pour commander. Cette imprudence réussit, parce que Jules était encore tout couvert du sang de Fabio. Tout le long de la route, il trouvait les arbres chargés d’hommes que l’on pendait. Ce spectacle hideux, joint à la mort de Ranuce et surtout à celle de Fabio, le rendait presque fou. Son seul espoir était que l’on ne saurait pas le nom du vainqueur de Fabio.

Nous sautons les détails militaires. Trois jours après celui du combat, il put revenir passer quelques heures à Albano ; il racontait à ses connaissances qu’une fièvre violente l’avait retenu dans Rome où il avait été obligé de garder le lit toute la semaine.

Mais on le traitait partout avec un respect marqué ; les gens les plus considérables de la ville le saluaient les premiers ; quelques imprudens allèrent même jusqu’à l’appeler seigneur capitaine. Il avait passé plusieurs fois devant le palais Campireali, qu’il trouva entièrement fermé, et, comme le nouveau capitaine était fort timide lorsqu’il s’agissait de faire certaines questions, ce ne fut qu’au milieu de la journée qu’il put prendre sur lui de dire à Scotti, vieillard qui l’avait toujours traité avec bonté :

— Mais où sont donc les Campireali ? je vois leur palais fermé.

— Mon ami, répondit Scotti avec une tristesse subite, c’est là un nom que vous ne devez jamais prononcer. Vos amis sont bien convaincus que c’est lui qui vous a cherché, et ils le diront partout ; mais enfin il était le principal obstacle à votre mariage, mais enfin sa mort laisse une sœur immensément riche, et qui vous aime. On peut même ajouter, et l’indiscrétion devient vertu en ce moment, on peut même ajouter qu’elle vous aime au point d’aller vous rendre visite la nuit dans votre petite maison d’Albe. Ainsi l’on peut dire,