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tendre que tu n’es pas ma femme ? Rappelle-toi la nuit de la Saint-Pierre. Comme l’aube paraissait déjà derrière le Monte-Cavi, tu te jetas à mes genoux ; je voulus bien t’accorder grace ; tu étais à moi, si je l’eusse voulu ; tu ne pouvais résister à l’amour qu’alors tu avais pour moi. Tout à coup il me sembla que, comme je t’avais dit plusieurs fois que je t’avais fait depuis long-temps le sacrifice de ma vie et de tout ce que je pouvais avoir de plus cher au monde, tu pouvais me répondre, quoique tu ne le fisses jamais, que tous ces sacrifices, ne se marquant par aucun acte extérieur, pouvaient bien n’être qu’imaginaires. Une idée, cruelle pour moi, mais juste au fond, m’illumina. Je pensai que ce n’était pas pour rien que le hasard me présentait l’occasion de sacrifier à ton intérêt la plus grande félicité que j’eusse jamais pu rêver. Tu étais déjà dans mes bras et sans défense, souviens-t’en ; ta bouche même n’osait refuser. À ce moment l’Ave Maria du matin sonna au couvent du Monte-Cavi, et, par un hasard miraculeux, ce son parvint jusqu’à nous. Tu me dis : Fais ce sacrifice à la sainte Madone, cette mère de toute pureté. J’avais déjà, depuis un instant, l’idée de ce sacrifice suprême, le seul réel que j’eusse jamais eu l’occasion de te faire. Je trouvai singulier que la même idée te fût apparue. Le son lointain de cet Ave Maria me toucha, je l’avoue ; je t’accordai ta demande. Le sacrifice ne fut pas en entier pour toi ; je crus mettre notre union future sous la protection de la Madone. Alors je pensais que les obstacles viendraient non de toi, perfide, mais de ta riche et noble famille. S’il n’y avait pas eu quelque intervention surnaturelle, comment cet Angelus fût-il parvenu de si loin jusqu’à nous, par-dessus les sommets des arbres d’une moitié de la forêt, agités en ce moment par la brise du matin ? Alors, tu t’en souviens, tu te mis à mes genoux ; je me levai, je sortis de mon sein la croix que j’y porte, et tu juras sur cette croix, qui est là devant moi, et sur ta damnation éternelle, qu’en quelque lieu que tu pusses jamais te trouver, que quelque évènement qui pût jamais arriver, aussitôt que je t’en donnerais l’ordre, tu te remettrais à ma disposition entière, comme tu y étais à l’instant où l’Ave Maria du Monte-Cavi vint de si loin frapper ton oreille. Ensuite nous dîmes dévotement deux Ave et deux Pater. Eh bien ! par l’amour qu’alors tu avais pour moi, et, si tu l’as oublié, comme je le crains, par ta damnation éternelle, je t’ordonne de me recevoir cette nuit, dans ta chambre ou dans le jardin de ce couvent de la Visitation. »

L’auteur italien rapporte curieusement beaucoup de longues lettres écrites par Jules Branciforte après celle-ci ; mais il donne seu-