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— Demain je viendrai de meilleure heure, je détacherai une des barres de cette grille, vous descendrez dans le jardin, je vous conduirai dans une église de la ville, où un prêtre à moi dévoué nous mariera. Avant qu’il ne soit jour, vous serez de nouveau dans ce jardin. Une fois ma femme, je n’aurai plus de crainte, et, si votre mère l’exige comme une expiation de l’affreux malheur que nous déplorons tous également, je consentirai à tout, fût-ce même à passer plusieurs mois sans vous voir.

Comme Hélène paraissait consternée de cette proposition, Jules ajouta :

— Le prince me rappelle auprès de lui ; l’honneur et toutes sortes de raisons m’obligent à partir. Ma proposition est la seule qui puisse assurer notre avenir ; si vous n’y consentez pas, séparons-nous pour toujours, ici, dans ce moment. Je partirai avec le remords de mon imprudence. J’ai cru à votre parole d’honneur, vous êtes infidèle au serment le plus sacré, et j’espère qu’à la longue le juste mépris inspiré par votre légèreté pourra me guérir de cet amour qui depuis trop long-temps fait le malheur de ma vie.

Hélène fondit en larmes :

— Grand Dieu ! s’écriait-elle en pleurant, quelle horreur pour ma mère !

Elle consentit enfin à la proposition qui lui était faite.

— Mais, ajouta-t-elle, on peut nous découvrir à l’aller ou au retour ; songez au scandale qui aurait lieu, pensez à l’affreuse position où se trouverait ma mère ; attendons son départ, qui aura lieu dans quelques jours.

— Vous êtes parvenue à me faire douter de la chose qui était pour moi la plus sainte et la plus sacrée : ma confiance dans votre parole. Demain soir nous serons mariés, ou bien nous nous voyons en ce moment pour la dernière fois, de ce côté-ci du tombeau.

La pauvre Hélène ne put répondre que par des larmes ; elle était surtout déchirée par le ton décidé et cruel que prenait Jules. Avait-elle donc réellement mérité son mépris ? C’était donc là cet amant autrefois si docile et si tendre ! Enfin elle consentit à ce qui lui était ordonné. Jules s’éloigna. De ce moment, Hélène attendit la nuit suivante dans les alternatives de l’anxiété la plus déchirante. Si elle se fût préparée à une mort certaine, sa douleur eût été moins poignante ; elle eût pu trouver quelque courage dans l’idée de l’amour de Jules et de la tendre affection de sa mère. Le reste de cette nuit se passa dans les changemens de résolution les plus cruels. Il y avait des mo-