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que l’abbesse avait envoyée pour les prendre. À quoi Jules répondit que, dans le désordre qui avait accompagné l’agonie imprévue du seigneur de Campireali, il n’avait qu’une simple lettre de créance écrite par le médecin, et qu’il devait donner tous les détails de vive voix à la femme du malade et à sa fille, si ces dames étaient encore dans le couvent, et dans tous les cas à madame l’abbesse. La tourière alla porter ce message. Il ne restait auprès de la porte que la jeune sœur envoyée par l’abbesse. Jules, en causant et jouant avec elle, passa les mains à travers les gros barreaux de fer de la porte, et, tout en riant, il essaya de l’ouvrir. La sœur, qui était fort timide, eut peur et prit fort mal la plaisanterie ; alors Jules, qui voyait qu’un temps considérable se passait, eut l’imprudence de lui offrir une poignée de sequins en la priant de lui ouvrir, ajoutant qu’il était trop fatigué pour attendre. Il voyait bien qu’il faisait une sottise, dit l’historien : c’était avec le fer et non avec l’or qu’il fallait agir, mais il ne s’en sentit pas le cœur : rien de plus facile que de saisir la sœur, elle n’était pas à un pied de lui de l’autre côté de la porte. À l’offre des sequins, cette jeune fille prit l’alarme. Elle a dit depuis qu’à la façon dont Jules lui parlait, elle avait bien compris que ce n’était pas un simple courrier : c’est l’amoureux d’une de nos religieuses, pensa-t-elle, qui vient pour avoir un rendez-vous, et elle était dévote. Saisie d’horreur, elle se mit à agiter de toutes ses forces la corde d’une petite cloche qui était dans la grande cour, et qui fit aussitôt un tapage à réveiller les morts.

— La guerre commence, dit Jules à ses gens, garde à vous ! — Il prit sa clé, et, passant le bras à travers les barreaux de fer, ouvrit la porte, au grand désespoir de la jeune sœur qui tomba à genoux et se mit à réciter des Ave Maria en criant au sacrilége. Encore à ce moment, Jules devait faire taire la jeune fille, il n’en eut pas le courage : un de ses gens la saisit et lui mit la main sur la bouche.

Au même instant, Jules entendit un coup d’arquebuse dans le passage, derrière lui. Ugone avait ouvert la grande porte ; le restant des soldats entrait sans bruit, lorsqu’un des bravi de garde, moins ivre que les autres, s’approcha d’une des fenêtres grillées, et, dans son étonnement de voir tant de gens dans le passage, leur défendit d’avancer en jurant. Il fallait ne pas répondre et continuer à marcher vers la porte de fer ; c’est ce que firent les premiers soldats, mais celui qui marchait le dernier de tous, et qui était un des paysans recrutés dans l’après-midi, tira un coup de pistolet à ce domestique du couvent qui parlait par la fenêtre, et le tua. Ce coup de pistolet, au