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DE L’IRLANDE.

dance entre les ostmen de la Mer du Nord et les fiers barons d’Angleterre.

Pourquoi le fait de la conquête qui, au bout de quelques siècles, amena la fusion des Saxons et des Normands, n’a-t-il produit en Irlande qu’une oppression continuée jusqu’à nos jours ? D’où vient que tant de douleurs sont demeurées stériles, et que les fils n’ont pas recueilli le prix du sang de leurs pères ?

Lorsque la bataille de Hastings eut livré aux Normands le royaume anglo-saxon, ce pays possédait une unité d’organisation dont l’Irlande était entièrement dépourvue au temps de l’invasion de Henri II. Si cette unité contribua à rendre plus prompte la soumission de l’Angleterre après la défaite du roi Harold, inconvénient inhérent à tous les pouvoirs centralisés, elle dut aussi donner aux vaincus bien plus de moyens pour agir à la longue sur les conquérans, en exerçant sur ceux-ci une influence égale à celle qu’ils subissaient eux-mêmes. Aussi avons-nous montré[1], sous les premiers successeurs de Guillaume, l’élément saxon intervenant d’une manière énergique dans la politique anglaise, et décidant par son propre poids l’issue des plus grands évènemens. Quels qu’eussent été les terribles effets de la conquête, il y eut, dès ce moment, en Angleterre, action et réaction réciproque. Les deux intérêts partout en présence se combinèrent étroitement, et un esprit nouveau, qui ne fut ni le pacifique esprit saxon, ni le belliqueux esprit normand, mais un composé de l’un et de l’autre, sortit bientôt de ces épreuves sanglantes, et vint prendre en Europe la place éminente qu’il y occupe encore. De plus, l’Angleterre, résidence des rois et des plus puissans seigneurs, absorba bientôt le duché de Normandie, comme le principal absorbe l’accessoire ; la terre conquise devint métropole de la terre conquérante ; et ceci ne contribua pas peu à effacer les traces de la violence, en constituant enfin dans ses conditions normales la puissante nationalité britannique.

Pour apprécier le caractère de la conquête de Henri II, continuée par ses successeurs jusqu’à Élisabeth et Cromwell, il faut prendre, à bien dire, le contre-pied de tout cela. Pendant qu’en Angleterre les divers royaumes saxons étaient réunis sous un même sceptre, et passaient dès-lors tous ensemble sous les lois du vainqueur, l’anarchie dévorait l’Irlande où des chefs nombreux revendiquaient tour à tour une suprématie contestée. Des luttes perpétuelles, des ven-

  1. De l’Angleterre, etc., première partie, no du 15 octobre 1838.