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DE L’IRLANDE.

catholique, ils devaient désintéresser leurs concitoyens protestans de tous dommages par eux encourus à raison des opérations militaires ou maritimes. Enfin, pour compléter cet horrible code qui, selon la belle expression de Burke, ne conservait la vie aux hommes que pour insulter dans leur personne à tous les droits de l’humanité, ces lois étaient appliquées sur le verdict de jurys composés de protestans, et par des magistrats appartenant exclusivement à la religion anglicane[1].

Depuis l’avénement de la maison d’Hanovre et les insurrections de l’Écosse, en 1715 et en 1747, mouvemens auxquels l’Irlande ne prit pas la part la plus légère, encore qu’ils devinssent pour elle la cause de nouvelles humiliations, ce pays subit en silence des rigueurs sans exemple comme sans excuse. On put croire à cette époque qu’il était enfin frappé au cœur, et qu’il avait perdu jusqu’à la force de se plaindre. Ses enfans, dispersés chez toutes les nations comme les juifs auxquels Clarendon les comparait trop justement, versaient leur sang pour toutes les causes et sur tous les champs de bataille. Sa bourgeoisie végétait humble et cachée dans les services les plus obscurs du barreau où il lui était interdit de s’asseoir ; ses prêtres, enregistrés dans chaque circonscription, voyaient leur tête menacée s’ils en franchissaient la limite ; ses populations rurales, sous la double excitation de leur misère et de leur profond abaissement, contractaient des habitudes invétérées de désordre, et comme une haine implacable contre l’ordre social tout entier. C’est à ce point que tant de persécutions avaient conduit les dominateurs de l’Irlande, et leur système devenait la cause de leur perplexité, le principe même de leur ruine.

Les confiscations du dernier siècle avaient fait passer dans les mains des protestans la presque totalité du sol ; mais que valait le sol au milieu d’une population de mendians, qui, le jour, vous tendaient la main, et la nuit enfonçaient les portes de vos demeures ? Quel profit tirer d’une terre qui ne trouvait point d’acheteur, et qu’un fermier catholique ne pouvait même prendre à bail ? Quelles transactions passer avec le petit nombre de propriétaires catholiques, lorsqu’un fils, en devenant apostat, pouvait exproprier son père, et même an-

  1. Cette législation est résumée par M. Hallam d’après les statuts du parlement irlandais (Constit. Hist., IV, chap. XXXVIII). On peut aussi la voir présentée sous des couleurs plus vives dans le puissant pamphlet dont l’apparition fut en Angleterre, l’un des grands évènemens de l’époque ; œuvre prodigieuse de style et de sagacité historique, et dont le seul tort est d’être signé d’un nom qui en infirme la valeur. Will. Cobbett’s, Hist. of the protest. reform. in England and Ireland, letter XV.