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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

tées à son droit que par la voix publique, par la suppression du débit dans une région qu’il approvisionnait, par les avis de ses commis-voyageurs ou de ses correspondans, et, avant tout, par l’instinct du spéculateur combiné avec celui du propriétaire. Ne serait-il pas d’ailleurs facile aux libraires européens d’organiser un système de protection mutuelle, une police commerciale, exercée par chacun au profit de tous ?

Le secret de la réussite en toutes choses consiste à ne viser qu’au possible. Il ne faut pas se flatter de détruire absolument la contrefaçon, pas plus que mille autres genres de fraude. On n’empêchera jamais la reproduction ténébreuse des petits livrets qui se vendent sous le manteau, ou qui se cachent dans la balle du colporteur, ainsi qu’il arrive même en France. Mais si on enlevait au contrefacteur les ressources de la publicité, s’il ne lui était plus permis d’étaler ses produits et d’offrir aux passans les séductions du bon marché, on appauvrirait son industrie au point de l’en dégoûter peut-être. Il est évident du moins que la contrefaçon ne serait plus à craindre pour les livres d’un ordre élevé en philosophie, en histoire, dans les sciences, pour les recueils périodiques, et en général pour les grandes et utiles entreprises qui ont des droits de plus d’un genre à la protection des législateurs.

Rien n’est plus vivace qu’un abus. Celui que nous combattons trouvera des défenseurs même chez nous, car il y porte profit à plusieurs personnes. Quelques-uns de nos libraires oseront dire peut-être : — Nous sommes nous-mêmes contrefacteurs ; la convention ne sera acceptée que par les peuples dont nous exploitons la littérature, et qui ne nous causent eux-mêmes qu’un faible dommage, en tirant de Belgique quelques livres français. La France aurait donc tort de renoncer au droit de contrefaçon qui l’indemnise aujourd’hui d’une partie de ses pertes. — À cela, nous répondrons que les contrefaçons, tolérées chez nous, ne rétablissent nullement l’équilibre, puisqu’elles ne sont jamais faites par ceux qui ont à se plaindre des étrangers, et qu’au surplus il est absurde autant qu’injuste de piller les Anglais et les Allemands, pour nous venger des Belges, qui nous dépouillent sans crainte de représailles. Il ne faut pas exagérer les effets désastreux de la loi invoquée pour les établissemens qui spéculent, chez nous, aux dépens de nos voisins. Quatre à cinq éditeurs seulement sont dans ce cas, et la masse des contrefaçons qu’ils publient n’est certainement pas, au reste de la librairie française, dans la proportion de un à quarante[1]. Selon nous, l’industrie des contrefacteurs ne mérite pas plus à Paris qu’à Bruxelles les égards qu’elle réclame.

  1. Nous avons compté en 1835, sur 82,298 feuilles typographiques produites par la librairie française, 3,849 feuilles en langues étrangères, et, en 1836, 4,806 feuilles sur un total de 79,233. Mais de ce nombre il faut déduire les livres étrangers tombés dans le domaine public, et ceux qui, publiés pour la première fois en France, y obtiennent droit de propriété. Il faudrait donc abaisser le chiffre de plus de moitié pour avoir celui des contrefaçons. Leur valeur mercantile représente environ 400,000 francs. Les livres anglais sont achetés en grande partie par les amateurs de littératures étrangères ; les livres espagnols, qui très souvent ne