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Le projet en discussion nous paraîtrait à nous-mêmes d’une médiocre importance, s’il ne devait avoir pour résultat que d’assurer un ou deux marchés de plus à la librairie française. Mais en se mettant successivement, pour le juger, au point de vue de chaque pays, on conserve peu de doutes sur la probabilité de son adoption générale. En cas de négociations entamées par la France, chacune des puissances européennes devra interroger :

1o L’intérêt moral du pouvoir ;

2o L’intérêt des écrivains ;

3o L’intérêt des industriels ;

4o L’intérêt des consommateurs.

Aucune considération ne peut prévaloir auprès des chefs politiques de l’Europe, en faveur d’une industrie dont le propre est d’introniser au sein d’un peuple l’influence étrangère.

La reconnaissance générale de la propriété littéraire n’offrant que des avantages aux écrivains, on peut compter sur l’unanimité de leur adhésion.

Si ce n’est en Belgique et dans l’Amérique du Nord, où la contrefaçon est une spéculation régulièrement constituée, les commerçans de tous les pays feront cause commune avec la librairie française. Imprimeurs, ils voient avec dépit l’activité des presses étrangères ; libraires-éditeurs, ils doivent repousser une concurrence faite aux publications nationales ; simples commissionnaires, ils ont plus à gagner avec les éditions originales qu’avec des contrefaçons mesquines qui se vendent nécessairement à vil prix.

Dira-t-on enfin qu’il faut conserver aux consommateurs l’avantage du bon marché ? L’objection serait valable s’il s’agissait d’une denrée de première nécessité ; et ne sait-on pas d’ailleurs que du jour où les éditeurs-propriétaires entreverront les chances d’un plus grand débit, ils élèveront le chiffre du tirage, et ne négligeront pas d’offrir aux acheteurs les séductions du bas prix ?

On reconnaît donc à première vue que tous les intérêts réclament contre l’abus, à l’exception de cette imperceptible minorité qui l’exploite. Nous passons aux détails. Nous allons visiter rapidement les différens marchés de la librairie, afin de prévoir, autant que possible, l’issue des négociations.

Le respect de la propriété littéraire est réclamé en Angleterre avec plus d’instance que chez nous-mêmes. La valeur attribuée aux manuscrits, la cherté du papier et de la main-d’œuvre, enfin, des impôts de plus d’un genre se réunissent pour y rendre la fabrication des livres plus coûteuse que partout ailleurs. Les Anglais, qui ne peuvent pas songer à faire concurrence aux éditeurs du continent, ont à souffrir particulièrement de la part des contrefacteurs établis à Paris. Ils ne nous envoient, année moyenne, que pour 120,000 francs de livres. Leurs demandes en livres français originaux varient de 600,000 à 900,000 francs. Mais comme dans cette somme figurent

    sont que des traductions d’ouvrages français faites à Paris, sont destinés à l’Amérique méridionale, et figurent dans le chiffre de nos exportations.