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SPIRIDION.

la méchanceté se dressait de toutes parts autour de moi pour repousser les élans de mon cœur. Ce fut encore un bonheur pour moi. Je sentais que la société d’hommes intelligens eût allumé en moi une fièvre de discussion, une soif de controverses, qui m’eussent de plus en plus affermi dans mes négations ; au lieu que, dans mes longues veillées solitaires, au plus fort de mon athéisme, je sentais encore parfois des aspirations violentes vers ce Dieu que j’appelais la fiction de mes jeunes années ; et, quoique dans ces momens-là j’eusse du mépris pour moi-même, il est certain que je redevenais bon et que mon cœur luttait avec courage contre sa propre destruction.

Les grandes maladies ont des phases où le mal amène le bien, et c’est après la crise la plus effrayante que la guérison se fait tout à coup, comme un miracle. Les temps qui précédèrent mon retour à la foi furent ceux où je crus me sentir le plus robuste adepte de la raison pure. J’avais réussi à étouffer toute révolte du cœur, et je triomphais dans mon mépris de toute croyance, dans mon oubli de toute émotion religieuse. À peine arrivé à cet apogée de ma force philosophique, je fus pris de désespoir. Un jour que j’avais travaillé pendant plusieurs heures à je ne sais quels détails d’observation scientifique avec une lucidité extraordinaire, je me sentis persuadé, plus que je ne l’avais encore été, de la toute-puissance de la matière et de l’impossibilité d’un esprit créateur et vivifiant, autre que ce que j’appelais, en langage de naturaliste, les propriétés vitales de la matière. Alors j’éprouvai tout à coup, dans mon être physique, la sensation d’un froid glacial, et je me mis au lit avec la fièvre.

Je n’avais jamais pris aucun soin de ma santé. Je fis une maladie longue et douloureuse. Ma vie ne fut point en danger, mais d’intolérables souffrances s’opposèrent pendant long-temps à toute occupation de mon cerveau. Un ennui profond s’empara de moi ; l’inaction, l’isolement et la souffrance me jetèrent dans une tristesse mortelle. Je ne voulais recevoir les soins de personne ; mais les instances faussement affectueuses du prieur, et celles d’un certain convers infirmier, nommé Christophore, me forcèrent d’accepter une société pendant la nuit. J’avais d’insupportables insomnies, et ce Christophore, sous prétexte de m’en alléger l’ennui, venait dormir chaque nuit, d’un lourd et profond sommeil, auprès de mon lit. C’était bien la plus excellente et la plus bornée des créatures humaines. Sa stupidité avait trouvé grace pour sa bonté auprès des autres moines. On le traitait comme une sorte d’animal domestique, laborieux, souvent nécessaire et toujours inoffensif. Sa vie n’était