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l’agonie et peu soucieux de ce qui se passe ailleurs : telle était, d’ailleurs, l’imminence de la mort pour tous, qu’on s’y était accoutumé et qu’on l’attendait sans cesse pour les autres comme pour soi. Au milieu des convulsions politiques qui ébranlaient la France, c’était un évènement vulgaire, journalier et prévu ; on en parlait comme aujourd’hui d’un mariage ou d’une naissance ; on ne s’étonnait point de ceux qui tombaient, mais de ceux qui restaient debout. La mort était, pour ainsi dire, la règle ; la vie, l’exception. Il fallait donc, pour que la victime émût, l’aspect de ses souffrances, la vue du sang, quelque circonstance pathétique et particulière, autre chose enfin que la pensée de la destruction, car celle-ci était devenue si familière, qu’elle n’émouvait plus.

Or, pour ceux qui étaient loin, les exécutions de Nantes ressemblaient à toutes les autres ; leur nombre s’expliquait par la multitude des prisonniers vendéens ; et telle était la haine excitée par les ravages et les cruautés des brigands, que leurs supplices ne paraissaient, en général, que de justes représailles. Trop d’indignations, de douleurs et de désirs de vengeance s’étaient amassés dans les cœurs pour que l’on fût miséricordieux. Il n’était point, dans toute la Bretagne, une seule famille patriote qui n’eût à pleurer un des siens tué dans cette guerre impie, de sorte que chaque tête vendéenne qui tombait était un holocauste offert à la mémoire d’un être que l’on avait aimé, ou une promesse de sécurité pour ceux que l’on aimait encore. De nos jours, où les haines ont la même tiédeur que les amours, on peut accuser de pareils sentimens de férocité ; l’impartialité est facile à qui ne souffre point. Quant à moi, j’avoue que je partageais alors la colère de tous les miens, et que la punition des excès commis par les royalistes me touchait faiblement.

Je partis donc pour Nantes sans répugnance comme sans crainte ; j’étais loin de prévoir le spectacle qui m’y attendait.

On a souvent parlé des malheurs de cette ville pendant la terreur, et, grace à eux, l’un des membres les plus obscurs de la convention a laissé un souvenir à l’histoire. Les noms de Leperdit, de Champenois, d’Audaudine, de Gambart, de Thomas, de Bancelin, ont été oubliés, tandis que celui de Carrier est resté vivant et debout ! C’est que ce nom avait été écrit au cœur même de la génération, comme la loi écrit le sien sur l’épaule du condamné ; c’est qu’après tout, les républicains que nous avons nommés plus haut ne furent que des hommes de courage, de loyauté, de dévouement, dans un temps où le courage, la loyauté et le dévouement se trouvaient par-