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d’exemple, avant l’ère chrétienne, d’émancipations systématiques opérées en masse par les anciens. On peut même dire que les philosophes païens, sans exception, étaient unanimes pour considérer l’esclavage comme un élément légitime et normal de la société[1]. »

Tous ceux qui connaissent l’organisation de la société antique savent quelle large place y occupait l’esclavage. S’appuyant à la fois sur les lois, sur les mœurs, sur les institutions, l’esclavage tenait à tout, et sa destruction, on peut le dire, eût infailliblement entraîné celle de l’état. Or, une émancipation systématique le détruisait en fait et en principe. Une autre raison s’opposait encore à des affranchissemens de cette nature : l’esclavage était une des sources principales de la richesse ; or, aux dépens de qui se serait opérée une émancipation funeste à tant de fortunes ? Il est donc peu surprenant que les affranchissemens n’aient été que partiels. Mais de là faut-il inférer qu’il ne vint jamais à l’esprit des anciens que ces milliers de malheureux gémissant sous le joug de l’esclavage, étaient injustement déshérités des droits du citoyen et des bienfaits de la liberté ? Est-il surtout croyable que tant de nobles intelligences, qui se dévouèrent à la recherche de la vérité, qui discutèrent tous les principes, examinèrent tous les droits, n’aient pas dénoncé l’esclavage comme un horrible attentat contre l’humanité ? Hâtons-nous de les venger d’une calomnie que l’ignorance seule a pu faire peser sur elles. Pour cela, il nous suffira d’ouvrir un livre que M. de Cassagnac a cité quelquefois, mais qu’il n’a certainement jamais lu en entier ; nous voulons parler de la Politique d’Aristote. On sait que le philosophe, égaré par la fausseté de son point de départ, s’est efforcé, dans ce livre, de soutenir la légitimité de l’esclavage ; or, avant de discuter ses propres idées, il expose, selon sa coutume, les diverses opinions que les philosophes ses prédécesseurs avaient émises sur la même question. Ainsi, au commencement de l’ouvrage : « Parlons d’abord, dit-il, du maître et de l’esclave, afin de voir si, dans cet examen, nous ne pourrons pas trouver quelque chose de plus satisfaisant que les idées aujourd’hui reçues. Les uns pensent, en effet, que la puissance du maître n’est autre chose qu’une sorte de science administrative[2], qui embrasse à la fois l’autorité domestique, politique et royale ; les autres pensent que cette puissance est contre nature, parce que la loi fait l’homme libre et l’esclave, tandis que la nature ne met entre eux aucune différence. Ils regardent donc l’esclavage comme le produit de la violence ; d’où ils concluent qu’il est injuste. » Plus loin : « Il est aisé de voir que ceux qui soutiennent le contraire sont fondés dans leur opinion jusqu’à un certain point. On est esclave et réduit à l’esclavage en vertu d’une loi, c’est-à-dire d’une convention d’après laquelle tout ce qui est pris à la guerre est déclaré propriété du vainqueur. Mais beaucoup de légistes accusent ce droit comme on accuse un orateur qui

  1. chap. II, pag. 23.
  2. La traduction de M. Barthélemy Saint-Hilaire a omis ce mot, qui me paraît essentiel pour expliquer ce qui suit.