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la plus haute fortune, voulut rester simple chevalier ; ce Mécène qui conseillait à Auguste de ne réveiller dans l’esprit du peuple aucun souvenir fâcheux en rappelant les noms de roi ou de dictateur, se serait, lui, décerné officiellement un titre redouté de son maître et abhorré des Romains ? Non, cela n’est pas possible ; il ne l’eût point fait, lors même qu’il en eût eu le droit. Je dis lors même qu’il en eut eu le droit, car Mécène sortait d’une famille qui, bien que rattachée aux Lucumons de l’Étrurie, ne donnait cependant à aucun de ses rejetons le droit de prendre le titre de rex, soit comme dignité, soit comme surnom. Aussi Mécène ne s’affubla-t-il jamais de cette qualification, et ce n’est que par une suite d’erreurs plus grossières les unes que les autres, que M. de Cassagnac a pu être conduit à une semblable hérésie. Le lecteur en jugera : « Du reste, continue M. Granier, un passage de Plutarque est bien formel là-dessus, car il dit qu’il y avait à Rome quatre familles, les Mamerci, les Calpurnii, les Pomponii et les Pinarii, qui avaient seules le droit de signer et de prendre dans les actes la qualification de reges. Plutarque ajoute que les quatre familles justifiaient cette titulature, en disant qu’elles descendaient de Numa. »

Si Plutarque avait avancé tout cela, Plutarque aurait commis de bien graves erreurs ; mais il sera facile de montrer que c’est M. Granier seul qui se trompe. Voici la phrase de Plutarque, je traduis mot pour mot : « D’autres historiens donnent à Numa, indépendamment de cette fille (Pompilia), quatre fils, Pompon, Pinus, Calpus et Mamercus, qui devinrent chacun les fondateurs d’une famille et les pères d’une glorieuse postérité ; car de Pompon descendent les Pomponius ; de Calpus, les Calpurnius, et de Mamercus, les Mamercius, lesquels prirent aussi, pour cette raison, le surnom de reges, c’est-à-dire, rois[1]. » Plutarque ne parle donc point de quatre familles qui aient porté le surnom de rex ; et comment, en effet, lui serait-il venu à l’esprit de dire que les Pomponius, les Pinarius et les Calpurnius étaient surnommés reges, ce qui est de toute fausseté ? L’erreur de M. Granier de Cassagnac tient à ce qu’il n’a pas vu que la proposition incidente, qui commence par οἷς, lesquels, ne se rapporte et ne peut se rapporter qu’aux Mamercius.

Mais le lecteur ne devine pas sans doute quel parti M. Granier de Cassagnac aura pu tirer, pour sa thèse, de ce passage de Plutarque. M. Granier avait cependant d’excellentes raisons pour établir authentiquement le titre de prince dans les quatre familles ; car il voulait faire sortir de l’une d’elles le chevalier Mécène. « Or, ajoute-t-il, Mécène était de l’une de ces familles. » Il est fâcheux que M. Granier ne nous dise pas laquelle ; je suis persuadé que les savans lui sauraient un gré infini de sa découverte. Faire de Mécène un descendant de Numa, après avoir supposé l’hérédité du nom d’Auguste dans la maison Claudia ! Que devons-nous augurer, bon Dieu ! « de ce second volume, qui traitera des races nobles, et où l’on essaiera, dit-on, de faire revivre les principes qui réglaient les noms propres, le bla-

  1. Vit. Num., § XXI.