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observation que j’avais prise pour la science. Des mystères infinis se déroulèrent autour de moi, contredisant toutes les sentences d’un savoir incomplet et d’un jugement précipité. En un mot, la vie prit à mes yeux un caractère sacré et un but immense, que je n’avais entrevu ni dans les religions, ni dans les sciences, et que mon cœur enseigna sur nouveaux frais à mon intelligence égarée.

Un soir, j’écoutais avec recueillement le bruit de la mer calme brisant sur le sable ; je cherchais le sens de ces trois lames, plus fortes que les autres, qui reviennent toujours ensemble, à des intervalles réguliers, comme un rhythme marqué dans l’harmonie éternelle ; j’entendis un pêcheur qui chantait aux étoiles, étendu sur le dos dans sa barque. Sans doute, j’avais entendu bien souvent le chant des pêcheurs de la côte, et celui-là peut-être aussi souvent que les autres. Mes oreilles avaient toujours été fermées à la musique, comme mon cerveau à la poésie. Je n’avais vu dans les chants du peuple que l’expression des passions grossières, et j’en avais détourné mon attention avec mépris. Ce soir-là, comme les autres soirs, je fus d’abord blessé d’entendre cette voix, qui couvrait celle des flots, et qui troublait mon audition. Mais, au bout de quelques instans, je remarquai que le chant du pêcheur suivait instinctivement le rhythme de la mer ; et je pensai que c’était là peut-être un de ces grands et vrais artistes que la nature elle-même prend soin d’instruire, et qui, pour la plupart, meurent ignorés comme ils ont vécu. Cette pensée répondant aux habitudes de suppositions dans lesquelles je me complaisais désormais, j’écoutai sans impatience le chant à demi sauvage de cet homme à demi sauvage aussi, qui célébrait d’une voix lente et mélancolique les mystères de la nuit et la douceur de la brise. Ses vers avaient peu de rime et peu de mesure, ses paroles encore moins de sens et de poésie ; mais le charme de sa voix, l’habileté naïve de son rhythme, et l’étonnante beauté de sa mélodie, triste, large et monotone comme celle des vagues, me frappèrent si vivement, que tout à coup la musique me fut révélée. La musique me sembla devoir être la véritable langue poétique de l’homme, indépendante de toute parole et de toute poésie écrite, soumise à une logique particulière, et pouvant exprimer des idées de l’ordre le plus élevé, des idées trop vastes même pour être bien rendues dans toute autre langue. Je résolus d’étudier la musique, afin de poursuivre cet aperçu ; et je l’étudiai en effet avec quelque succès, comme on a pu te le dire. Mais une chose me gêna toujours : c’est d’avoir trop fait usage de la logique appliquée à un autre ordre de facultés. Je ne pus jamais com-