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ministres pour m’opposer l’image du roi, on m’arrête ainsi avec cette image auguste, mais on m’ôte ma liberté ! Et cette liberté, s’écrie M. Thiers dans un beau mouvement digne de la convention nationale, je la réclame, car nous l’avons acquise en 1830 au risque de notre tête ! »

Nous regrettons de voir un homme aussi sensé que M. Thiers jouer un moment le rôle de ce ridicule et fameux Titus Oates, qui attaquait jadis le ministère anglais, en disant qu’on en voulait à sa tête. M. Guizot et M. Thiers devraient s’entendre un peu mieux ensemble. L’un dit à ses électeurs que le gouvernement est faible, qu’il s’amoindrit, qu’il s’en va ; l’autre le voit oppresseur, et il réclame sa liberté dont on le prive. Que veut dire tout ceci ? est-ce bien à des électeurs, à des hommes de bon sens, qu’on adresse ce langage doublement absurde et contradictoire ? En quoi le ministère a-t-il opposé la royauté à la coalition ? En quoi s’est-il dérobé à la responsabilité qui lui appartient ? Ne l’a-t-il pas engagée, au contraire, dans toutes les questions, et la dissolution de la chambre dont vous vous plaignez, n’est-elle pas le plus grand acte de la responsabilité ministérielle ? Cette responsabilité qui couvre la couronne, le ministère l’a courageusement engagée à Constantine, à Haïti, en Suisse, à la Vera-Cruz, et il est prêt à l’engager encore dans toutes les circonstances où l’honneur et la dignité de la France seront en jeu. Quant à la liberté que M. Thiers réclame, n’est-ce pas une dérision ? Qui a usé plus que M. Thiers de la liberté de trouver mauvaise la politique intérieure, mauvaise la politique extérieure, pour nous servir de ses expressions ? La tribune de la chambre retentit encore de ses derniers discours, et les pages du Constitutionnel, si violentes et si injurieuses, viennent chaque jour prouver que M. Thiers n’est entravé ni dans ses libertés d’orateur, ni dans ses libertés d’écrivain. La vérité est que le ministère n’est ni faible ni oppresseur, mais qu’il a tenté de concilier les partis au bénéfice du pays. Il n’a réussi qu’à concilier les hommes qui veulent avec désintéressement le bien de la France, et c’est ainsi qu’il a formé cette belle majorité des 221, unie par les principes, sans aucune autre influence. Il est vrai qu’il a irrité davantage ceux qui veulent régner à la faveur des désordres des partis, et qui ne seraient rien si les partis cessaient la guerre qui fait leur importance et leur réputation, car ils sont plus propres à la lutte qu’aux affaires, et il en est peu parmi eux qui unissent à la suite et au calme que demande l’administration les qualités brillantes qui font réussir à la tribune. M. Thiers eût été de ce nombre, s’il ne s’était laissé entraîner par les partis. Il reviendra à de meilleures pensées, et il retrouvera sans doute l’usage des belles facultés dont il est doué, si les électeurs l’obligent à reconnaître qu’il s’est trompé.

Une dernière circonstance a involontairement reporté M. Thiers aux souvenirs de 1837. C’est la présence, dans l’opposition, d’un grand nombre d’ennemis du gouvernement, et il invoque les noms de M. Royer-Collard, de M. Pasquier et de M. Hyde de Neuville. Mais M. Royer-Collard, dont parle M. Thiers, est maintenant dans les 221, et la voix de ce doyen du régime