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amers encore ne lui étaient pas épargnés par les Saxons, qu’il battit sans les réduire, et dont il envenima le ressentiment sans leur ôter les moyens de l’accabler plus tard.

Rome observait tout en silence, et pendant les discordes de l’Allemagne, elle agrandissait sa propre puissance. Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, avait demandé le pallium par des légats : Hildebrand sut le persuader de venir le chercher lui-même, et le prélat anglais fit le voyage d’Italie avec Thomas, archevêque d’York. Le pape les reçut avec une affectueuse tendresse. Si l’on joint à cette démarche la reconnaissance expresse de la suprématie romaine par les archevêques de Cologne et de Mayence, qui avaient aussi quitté l’Allemagne pour rendre compte au pape de leur conduite, on jugera combien Rome s’élevait au-dessus des autres églises, et se préparait habilement à devenir le tribunal des rois. Déjà Alexandre avait sommé Henri IV de venir se justifier devant lui tant du reproche de simonie que d’autres griefs allégués par les Saxons, quand la mort vint le surprendre. Rome le regrette ; mais elle est tranquille. Un instinct secret l’avertit qu’elle porte dans son sein un homme qui fera sa gloire. Après un jeûne de trois jours, pendant lesquels on interroge à genoux la volonté divine, le peuple et le clergé s’émeuvent et s’écrient d’une voix unanime que saint Pierre a choisi pour successeur Hildebrand. Les cardinaux et les évêques n’ont plus à faire le choix, mais à le ratifier. Le voulez-vous ? disent-ils au peuple ; nous le voulons. L’approuvez-vous ? nous l’approuvons. Cependant Hildebrand est abîmé dans la prière, et sa grandeur le pénètre d’angoisses. Il a son agonie comme le Sauveur au jardin des Olives ; il sent que le trône est une croix, et il délibère s’il acceptera cette exaltation douloureuse. Enfin il se lève, après avoir plongé dans l’avenir un œil ardent et résolu ; Rome peut adorer son pape, car elle est aux pieds d’un martyr.

Plus les desseins d’Hildebrand, qui prit le nom de Grégoire VII, étaient vastes, plus il usa de prudence dans les premiers momens de son élévation. Quand le comte de Nellenbourg fut envoyé par Henri IV à Rome pour demander aux cardinaux et aux seigneurs comment ils s’étaient permis d’élire un pape sans l’approbation du roi, Grégoire VII le reçut avec une extrême déférence, et lui répondit que si les Romains l’avaient élu, ils n’avaient pu néanmoins le déterminer à se laisser ordonner, et qu’il attendait qu’un ambassadeur vînt lui apporter le consentement du roi. Le comte de Nellenbourg rapporta cette réponse à Henri, qui s’en montra satisfait, et donna des ordres pour le sacre du nouveau pape. Il importait à Gré-