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L’ABBESSE DE CASTRO.

Les témoins rapportent qu’au milieu de ses phrases élégantes, souvent l’abbesse lui ordonnait de se taire, et en des termes durs et qui montraient le mépris. — À vrai dire, continue un autre témoin, madame le traitait comme un domestique ; dans ces cas-là, le pauvre évêque baissait les yeux, se mettait à pleurer, mais ne s’en allait point. Il trouvait tous les jours de nouveaux prétextes pour reparaître au couvent, ce qui scandalisait fort les confesseurs des religieuses et les ennemies de l’abbesse. Mais madame l’abbesse était vivement défendue par la prieure, son amie intime, et qui, sous ses ordres immédiats, exerçait le gouvernement intérieur.

— Vous savez, mes nobles sœurs, disait celle-ci, que, depuis cette passion contrariée que notre abbesse éprouva dans sa première jeunesse pour un soldat d’aventure, il lui est resté beaucoup de bizarrerie dans les idées ; mais vous savez toutes que son caractère a ceci de remarquable, que jamais elle ne revient sur le compte des gens pour lesquels elle a montré du mépris. Or, dans toute sa vie peut-être, elle n’a pas prononcé autant de paroles outrageantes qu’elle en a adressé en notre présence au pauvre monsignor Cittadini. Tous les jours, nous voyons celui-ci subir des traitemens qui nous font rougir pour sa haute dignité.

— Oui, répondaient les religieuses scandalisées, mais il revient tous les jours ; donc, au fond, il n’est pas si maltraité, et, dans tous les cas, cette apparence d’intrigue nuit à la considération du saint ordre de la Visitation.

Le maître le plus dur n’adresse pas au valet le plus inepte le quart des injures dont tous les jours l’altière abbesse accablait ce jeune évêque aux façons si onctueuses ; mais il était amoureux et avait apporté de son pays cette maxime fondamentale, qu’une fois une entreprise de ce genre commencée, il ne faut plus s’inquiéter que du but, et ne pas regarder les moyens. — Au bout du compte, disait l’évêque à son confident César del Bene, le mépris est pour l’amant qui s’est désisté de l’attaque avant d’y être contraint par des moyens de force majeure.

Maintenant ma triste tâche va se borner à donner un extrait nécessairement fort sec du procès à la suite duquel Hélène trouva la mort. Ce procès, que j’ai lu dans une bibliothèque dont je dois taire le nom, ne forme pas moins de huit volumes in-folio. L’interrogatoire et le raisonnement sont en langue latine, les réponses en italien. J’y vois qu’au mois de novembre 1572, sur les onze heures du soir, le jeune évêque se rendit seul à la porte de l’église où toute la