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dement du couvent et bientôt après de la ville. Arrivée en rase campagne et poursuivie par une terreur panique, elle se réfugia dans une grotte que le hasard lui fit rencontrer dans certains rochers. L’abbesse écrivit à César del Bene, confident et premier valet de chambre de l’évêque, qui courut à la grotte qu’on lui avait indiquée ; il était à cheval : il prit l’enfant dans ses bras, et partit au galop pour Montefiascone. L’enfant fut baptisé dans l’église de Sainte-Marguerite, et reçut le nom d’Alexandre. L’hôtesse du lieu avait procuré une nourrice à laquelle César remit huit écus : beaucoup de femmes, s’étant rassemblées autour de l’église pendant la cérémonie du baptême, demandèrent à grands cris au seigneur César le nom du père de l’enfant.

— C’est un grand seigneur de Rome, leur dit-il, qui s’est permis d’abuser d’une pauvre villageoise comme vous. Et il disparut.

VII.

Tout allait bien jusque-là dans cet immense couvent, habité par plus de trois cents femmes curieuses ; personne n’avait rien vu, personne n’avait rien entendu. Mais l’abbesse avait remis au médecin quelques poignées de sequins nouvellement frappés à la monnaie de Rome. Le médecin donna plusieurs de ces pièces à la femme du boulanger. Cette femme était jolie et son mari jaloux ; il fouilla dans sa malle, trouva ces pièces d’or si brillantes, et, les croyant le prix de son déshonneur, la força, le couteau sur la gorge, à dire d’où elles provenaient. Après quelques tergiversations, la femme avoua la vérité, et la paix fut faite. Les deux époux en vinrent à délibérer sur l’emploi d’une telle somme. La boulangère voulait payer quelques dettes ; mais le mari trouva plus beau d’acheter un mulet, ce qui fut fait. Ce mulet fit scandale dans le quartier, qui connaissait bien la pauvreté des deux époux. Toutes les commères de la ville, amies et ennemies, venaient successivement demander à la femme du boulanger quel était l’amant généreux qui l’avait mise à même d’acheter un mulet. Cette femme, irritée, répondait quelquefois en racontant la vérité. Un jour que César del Bene était allé voir l’enfant, et revenait rendre compte de sa visite à l’abbesse, celle-ci, quoique fort indisposée, se traîna jusqu’à la grille, et lui fit des reproches sur le peu de discrétion des agens employés par lui. De son côté, l’évêque tomba malade de peur ; il écrivit à ses frères à Milan pour leur raconter l’injuste accusation à laquelle il était en butte ; il les engageait à venir