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cadence ne fut ni aussi complète, ni aussi prompte, que celle du théâtre et de la poésie. Les femmes ajoutèrent plus d’une nuance délicate à cette encyclopédie microscopique, et la civilisation de la Grande-Bretagne n’eut pas une veine, pas une fibre qui ne comptât son analyste.

L’école de Walter Scott, résurrection colorée de l’histoire, genre borné d’ailleurs, perdit sa première vogue après la mort du maître. Ses imitateurs avaient pris l’ombre pour la proie et le costume pour le héros. Ce fracas d’armures, ce rayonnement de lances, ces sculptures de boiseries, ces inventaires de mobilier, lassèrent bientôt la patience ; tous les vieux meubles rentrèrent au magasin. James, auteur de Darnley, Delorme, Philippe-Auguste, a inventé des ressorts dramatiques et suivi avec fidélité les documens de l’histoire. On regrette de ne pas trouver chez lui cette variété de figures, et cette intéressante armée de personnages, bien étudiés et bien compris, qui font des œuvres de Walter Scott un monde réel, vivant et animé. Horace Smith, auteur de Brambletye-Hall, jette plus de mouvement dans ses tableaux ; mais le soin minutieux avec lequel il en termine les détails, nuit à l’intérêt et à la simplicité de l’ensemble. Le génie épique de Scott, ce miroir vaste et lumineux, n’a pas reparu depuis sa mort.

En Angleterre, le roman s’est subdivisé à l’infini ; à côté du roman historique, il faut nommer et compter le roman militaire, maritime, fashionable, bourgeois, économique, politique, facétieux, populaire. Nous n’approuvons point ce morcellement, commode pour l’écrivain, incomplet dans son résultat, et qui ne présente qu’une seule facette du monde. Pourquoi rétrécir le champ de l’observation ? L’auteur de Don Quichotte esquissait le paysan et le grand d’Espagne, les haillons de l’un, le velours de l’autre, et sous toutes les étoffes il sentait le cœur battre. Voici Marryatt, qui peint les navires et les équipages ; Gleig, les soldats ; lord Normanby, les salons ; Hook, les bourgeois ; miss Martineau, les ouvriers ; Galt, les membres du parlement ; Dickens, les escrocs et les cochers de fiacre ; Hood, les commis et les bonnes d’enfans ; miss Mitford, les épiciers de village et les rentiers retirés. C’est une interminable série de monographies exécutées avec une patience chinoise ; le travail d’une analyse faite à la loupe, sur tous les pores et tous les sillons qui se croisent à l’épiderme de la société. On peut classer cette foule d’atômes en deux vastes divisions : les romans qui prétendent initier le lecteur au monde comme il faut, la plupart émanent de plumes roturières, et ceux qui