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opérée dans les esprits. Autrefois Swift conseillait les ministres ; Bolingbroke faisait de la théologie polémique ; Burke attachait du prix aux belles formes de la diction. Mais pour la première fois, le Roman vient s’asseoir au sénat et prétend à la toge politique. Le Roman, c’est M. Bulwer même : rapide peinture des accidens lumineux qui se jouent et se brisent à la surface de la mer sociale ; miroir accessible à toutes les images et rayonnant de toutes les couleurs, le roman n’est pas fait pour exercer une action et vaincre les obstacles. C’est une glace et non un levier. Il y a donc un déplacement des forces : M. Bulwer en est l’expression. L’avenir dira quel en doit être le fruit.

Pelham, Eugène Aram, Paul Clifford, Maltravers, nous semblent, après tout, les meilleures fictions de l’époque dernière. Que l’on reproche à Pelham ses descriptions de lingère et d’ébéniste, à Clifford l’abus de l’argot, à Eugène Aram l’emprunt d’une anecdote brute et d’un fait connu, à tous ces romans un certain parti pris, né d’une érudition toute nouvelle et d’une étude commencée spécialement pour chacun d’eux ; qu’il se trouve ainsi qu’en définitive les couleurs ne sont pas fondues, ni les épisodes naturellement liés au sujet ; beaucoup de place reste encore à l’éloge et à l’intérêt : vivacité de dialogue, invention de caractères, justesse de coup-d’œil, et surtout dans Ernest Maltravers, où cette qualité prodiguée devient défaut ; mille remarques piquantes, nées d’une philosophie mondaine. L’inégalité du style, le peu de fusion des morceaux que l’on dirait arrachés aux pages d’un album et rajustés plutôt que disposés savamment, l’enluminure du coloris, se font remarquer à l’œil attentif. Quiconque respecte et connaît l’antiquité n’aime pas voir qu’un écrivain tout moderne porte sur les ruines de Pompéi et dans l’Agora des Athéniens sa philosophie de dandy et sa politique semi-radicale ; parmi les œuvres de M. Bulwer, les plus sérieuses par le titre sont donc les plus frivoles par le fond : Athènes et les Derniers jours de Pompéia. Celles qui s’annoncent avec moins de pompe joignent une importance plus réelle à des prétentions moins hautes : il y a de l’éloquence dans Aram, d’excellens tableaux dans Pelham et Clifford, des vues élevées dans Maltravers. C’est une observation pleine de force, bien qu’exagérée dans sa réalisation, que le portrait de cette impuissance vaniteuse, qui croit à son génie pour avoir le droit de haïr le monde, et fait de cet anathème un prétexte de lâche et insultante oisiveté. Le génie méconnu court l’Europe ; dans cette insurrection générale des individualités égoïstes, chaque esprit orgueilleux