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ÉCONOMIE POLITIQUE.

la voie des éclaircissemens un théoricien habile comme M. Blanqui. On voit, dans l’origine, la république suivre instinctivement une pratique odieuse dont Aristote pourtant a fait l’éloge : elle exproprie les peuples vaincus ; elle divise une partie de leur territoire en petits lots, pour les distribuer comme récompenses militaires, et conserve le reste comme domaine national (ager publicus). Ce domaine est affermé aux enchères, et le prix du bail devient la principale ressource de l’état. Mais il faut de grands capitaux pour exploiter de grands fonds de terre. Les patriciens seuls peuvent se mettre sur les rangs. L’influence que leur assure la constitution du pays les rend juges et parties dans leurs propres causes ; ils s’adjugent successivement les plus beaux fruits de la conquête, et chaque famille s’applique traditionnellement à conserver les avantages du contrat primitif. Rome, en accumulant les matières précieuses arrachées aux vaincus, ne s’aperçoit pas qu’elle abaisse démesurément chez elle la valeur du numéraire. Cette circonstance tourne encore au profit des détenteurs de biens nationaux ; la redevance annuelle qu’ils acquittent devient tellement insignifiante, qu’en beaucoup de cas, sans doute, ils sont moins des fermiers que des propriétaires. C’est d’ailleurs en cette qualité qu’ils agissent, car rien ne leur coûte pour améliorer le fonds. Les guerres continuelles entretiennent aux plus vils prix les instrumens ordinaires du travail, les esclaves ; le maître imagine de les intéresser à la prospérité de l’exploitation par un moyen qui devient pour lui-même une source nouvelle de profits. Il permet aux esclaves de se priver du nécessaire, de vendre ce qu’ils retranchent de leur ration de chaque jour, quelquefois même d’exercer un petit trafic, afin de se créer un pécule et de le placer à intérêt ; mais, à coup sûr, le placement se fait entre les mains du patricien, qui, déjà propriétaire foncier et entrepreneur d’industrie, devient, par ce dernier fait, banquier. Ainsi, les trois principaux moyens d’acquérir, la terre, le travail, l’argent, sont à la disposition de l’aristocratie. Les grands domaines, vivifiés par un capital surabondant, tendent forcément à s’accroître. Chaque jour ils englobent et s’assimilent quelque modeste patrimoine, et il arrive une époque où le territoire romain, complètement envahi, offre moins l’image d’une république que d’une fédération de petits royaumes où chaque chef de noble famille règne en maître absolu.

Si M. Blanqui avait suivi dans l’histoire les traces de ce développement, il n’eût pas élevé des doutes sur l’existence des pauvres au sein de la société romaine. La classe souffrante s’y forma des petits propriétaires dépossédés, des travailleurs libres écrasés par la concurrence des ateliers serviles, des débiteurs dévorés par de ruineux intérêts ; en un mot, de presque tous les plébéiens. Il n’y a peut-être d’exceptions à faire que pour ceux qui s’élevaient à la fortune par la bravoure ou l’intelligence, et se classaient alors dans l’ordre des chevaliers, aristocratie financière qui devait peu à peu se substituer à la noblesse de race. Remarquons que, dans l’antiquité, la pauvreté, cette affreuse incertitude du lendemain qui torture l’homme dénué de ressources, n’existait pas pour la portion la plus dégradée de la société. L’esclave, ne possédant