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la formation d’une communauté, et comme aucune industrie ne peut se suffire à elle-même, des communautés accessoires viennent se grouper autour d’elle et deviennent le noyau d’une nouvelle bourgade. Partout la hiérarchie des colléges est strictement déterminée, de telle sorte que le passage de l’un à l’autre peut être prescrit par la loi comme une récompense ou une punition. À l’origine de chaque corporation, un fonds social est constitué, soit par la munificence du gouvernement impérial ou de l’autorité locale, soit par l’apport des incorporés ; mais l’association s’ouvre également pour celui qui ne possède que son industrie. Ainsi se combine un vaste système de commandites si bien échelonnées, que tout homme ingénu peut se choisir une place en quelqu’une d’elles, y devenir actionnaire, n’eût-il pour fortune que la possession de sa personne, et quelque mince que soit cette valeur. Du point de vue où nous place aujourd’hui la concurrence, une pareille organisation nous apparaît d’abord comme une utopie. Mais la belle médaille antique a un triste revers. Le collégiat pouvait acquérir et jouir, mais il ne possédait pas. La richesse, le prix de ses sueurs, n’était qu’un usufruit qu’il devait abandonner, s’il lui prenait fantaisie de changer de profession. Un boulanger ne pouvait constituer une dot à sa fille qu’à la condition de la marier à un boulanger. Il ne pouvait ni vendre, ni donner, ni léguer, si ce n’est en faveur d’une personne agrégée à son collége et apte à continuer son service. La part disponible de chacun n’était qu’un pécule, comme celui de l’esclave, plus ou moins abondant, selon l’activité personnelle ou la première mise de fonds. En un mot, l’industrie n’appartenait pas à l’industriel ; c’était l’industriel, au contraire, qui appartenait à l’industrie, le drapier à la fabrique, le forgeron à la forge.

Dans une société de ce genre, comment se répartissait le travail ? comment écoulait-on les produits ? Il est probable que tout se réglait par l’entremise d’une corporation particulière, qui, dans chaque localité, s’adjoignait aux autres, celle des vendeurs (negotiatores). À cette classe n’étaient pas agrégés les propriétaires, les capitalistes puissans, qui se livraient accidentellement à de grandes spéculations ; elle se composait seulement des petits marchands et colporteurs qui tenaient en boutique des assortimens de marchandises et approvisionnaient les foires et les marchés. Des charges accablantes épuisaient cette corporation. Indépendamment des droits de vente et de péage qui l’atteignaient particulièrement, elle devait payer la collation auraire, ainsi nommée parce qu’elle se comptait en or, impôt très lourd qui engageait solidairement tous les membres, et dont le montant était hypothéqué sur les immeubles de la communauté. On peut conjecturer encore que l’échange des produits spéciaux s’opérait d’une ville à l’autre par les marchands étrangers, c’est-à-dire par ceux qui, n’étant pas soumis à la résidence en vertu de certains priviléges locaux, se transportaient partout où les appelait l’espoir d’un bénéfice, au grand préjudice des commerçans immatriculés. Tels furent, à Rome, les Grecs, surnommés pantapoles à cause de l’universalité de leur commerce, et, en Gaule, les Syriens et les Frisons.