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haut, que l’intérêt de l’argent se compose du loyer de cet argent, et de la prime d’assurance que le prêteur proportionne toujours à la chance de perte qu’il croit courir ? Or, l’abondance des capitaux ne peut abaisser que le premier élément de l’intérêt, le loyer. Les sacrifices commandés à l’emprunteur seront toujours mesurés sur ses ressources apparentes. Voyons, d’après M. d’Esterno lui-même, comment l’usure se pratique dans les campagnes. — « Un homme a besoin d’une mesure de blé valant 5 francs ; il n’a pas d’argent pour la payer : l’usurier la lui vend 6 francs, et lui accorde un mois de terme. C’est 20 pour 100 d’intérêt pour un mois, ou 240 pour 100 par an. Le terme arrivé, le débiteur ne peut payer en argent, mais il possède une armoire de 9 francs, que l’usurier accepte en paiement et qui lui procure un nouveau bénéfice de 60 pour 100 pour un mois, ou 720 francs par an, qui, réunis aux 240 exigés précédemment, donnent un total de 960 pour 100. » — Ce triste calcul est des plus justes ; mais quand chaque ville aurait un comptoir aussi bien pourvu que celui de Lyon, l’usurier paierait 3 pour 100 l’argent qu’il n’obtient aujourd’hui qu’à raison de 5, et il ne continuerait pas moins à rançonner le paysan qui n’aura jamais du papier à trois signatures à présenter à l’escompte. Les établissemens de crédit public serviront indirectement la classe ouvrière ; mais pour qu’ils portassent tous leurs fruits, il faudrait qu’ils se combinassent avec quelque réforme constitutionnelle de l’industrie.

L’énorme privilége que possèdent les capitaux mobiles de multiplier leur action, en se faisant représenter par le papier, est devenu une cause de jalousie de la part des propriétaires du capital immobilier. Cette disposition a enfanté plusieurs brochures dans lesquelles on propose des moyens de communiquer à la propriété foncière cette qualité représentative, c’est-à-dire que les immeubles eux-mêmes formeraient un fonds de réserve plus solide encore, assure-t-on, que le gage métallique des banques, et que leur valeur représentée en papier, dans des proportions tracées par la prudence, serait jetée dans la circulation. Un projet conçu d’après ces données a subi dernièrement la censure de l’Académie des sciences morales et politiques. On a répandu encore un Mémoire sur le droit et l’institution du crédit foncier. L’auteur, M. P. Petit, n’est pas de ceux qui paraissent ignorer qu’une valeur se déprécie par sa propre abondance, et précipite toutes les autres dans son avilissement. La presse, qui multiplie les billets, n’opère pas à ses yeux le grand œuvre. Il prétend démontrer seulement que la propriété foncière pourrait trouver dans les ressources du crédit les moyens de s’améliorer elle-même, et d’atténuer les charges qui pèsent particulièrement sur elle. C’est renfermer le problème dans les termes de la raison et de l’équité. Nous n’entreprendrons pas, toutefois, l’analyse des opérations conseillées par M. Petit. Le langage qu’il emploie est si obscur, que nous n’oserions pas même répondre d’avoir saisi parfaitement son idée première. Qu’il se persuade bien que ses convictions ne pourront jamais prévaloir, s’il ne fait pas effort pour les exposer d’une façon plus intelligible.