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ÉCONOMIE POLITIQUE.

arrivé. Dans ce monde, la population est innombrable et sollicitée sans relâche au légitime accroissement, par l’augmentation continuelle des produits agricoles, par la possibilité d’utiliser tous les bras. Là se trouvent des villes immenses, bien dessinées, élégamment bâties, assainies et égayées par des massifs d’arbres ; les maisons ont jusqu’à huit étages ; pour l’économie du temps, chaque industrie est condensée dans un quartier. Dans la ville, plusieurs associations commerciales sont en contact ; la commune rurale est formée d’une seule société en commandite, par petites actions ; on y produit en commun et l’on consomme aussi en commun, en ce sens que le même appareil domestique et culinaire sert à préparer la nourriture de tous. Mais on n’est pas pour cela privé des plaisirs de l’intimité ; chacun peut emporter sa part et mettre la nappe chez soi. — « Voici donc, s’écrie M. Pecqueur dans son enthousiasme prophétique, voici l’armée des producteurs, chefs et ouvriers, tout à l’heure dispersée, anarchique, confuse, fonctionnant deux à deux ou dix à dix dans d’obscurs ateliers : les voici groupés par cent, deux cents, quatre cents et huit cents dans de vastes établissemens, soumis à une ponctualité dans le service, à une perfection dans l’œuvre, à une unité d’action et de direction, à un ensemble que rien ne rappelle dans le mécanisme du travail et de la production de nos jours ! » — Ce que nous admirons surtout, c’est le merveilleux système de communication qui relie ces divers centres d’activité. Non-seulement les grandes villes sont rattachées les unes aux autres par des lignes entretenues et exploitées par l’état, et correspondant aux routes royales des âges barbares, du XIXe siècle par exemple ; mais la richesse générale permet à la population de chaque village de remplacer les chemins vicinaux et communaux par de petits chemins de fer, rayonnant sur chacun des sept ou huit principaux points de la circonférence du territoire communal, avec de petits embranchemens çà et là, pénétrant à droite et à gauche dans les champs. — « Par là, dit l’auteur, sera trouvé le moyen, tout simple, de diminuer le dur labeur des populations agricoles, et de couvrir tout le globe d’un vaste réseau de chemins de fer de toutes dimensions, en dehors duquel pas une seule agglomération de population ne sera laissée. Il y a plus, ajoute-t-il deux pages plus loin, il n’est pas impossible que cette généralisation de la vapeur ne s’arrête qu’à la dernière limite, qui serait de desservir même les rues, et toutes les rues de toute ville, de tout village, comme font aujourd’hui les chariots, les chevaux et les pavés. » Aussi, dans ce monde nouveau, les distances sont rapprochées comme par magie : Rouen est à Sèvres, Reims à Pantin, Strasbourg à Meaux, Perpignan à Pithiviers ; Saint-Pétersbourg vient prendre place à Valenciennes, Bruxelles à Senlis, Rome à Sens, Madrid à Orléans ; et Londres ?… il est quelque part entre Gisors, Beaumont et Chantilly. Dans ce monde, l’échange continuel des produits locaux est si facile et si rapide, que chaque pays participe au bien-être de tous les autres. On entend dire : Je vais à Bagdad, à Ispahan, à Péking, comme on disait autrefois : Je vais à Périgueux ou à Mulhouse ; au départ, on prend chez un banquier une lettre de crédit pour