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nement vendait partiellement et isolément, et la faveur ne manquait pas d’avoir quelque influence dans ces opérations. Il arrivait aussi que le gouvernement délivrait des firmans pour des quantités supérieures à la récolte, et qu’il était obligé de les solder avec la récolte à venir. Mais, depuis que le nombre des négocians européens s’est multiplié en Égypte, Mohammed-Ali a adopté le système des ventes publiques, soit à prix fixe, soit aux enchères. Ce dernier mode, employé d’abord pour les cotons, a été appliqué aux indigos, aux gommes et aux riz, et s’étend de jour en jour à tous les articles du dépôt. Il permet à tous les négocians d’acheter, quelque modiques que soient leurs capitaux. Il offre aussi l’avantage de la publicité, qui écarte tout soupçon de faveur, et qui habitue le commerçant à opérer au grand jour et à se dépouiller de tous ces préjugés de mystères et d’arcanes que l’on regardait autrefois comme la condition suprême du succès et de la fortune. Le négociant doit aujourd’hui se familiariser avec les découvertes de l’économie politique ; il doit songer à la fortune publique sans cesser de songer à sa fortune particulière. C’est à la science qu’il appartient désormais d’éclairer l’industrie et de la guider dans une route plus large et plus productive. La publicité donnée par la presse à tous les faits industriels, la vulgarisation des saines notions de statistique et d’économie politique, la généralisation des opérations commerciales par les ventes publiques et les enchères, l’installation des bourses, chambres, conseils de commerce, et l’extension de leurs pouvoirs ; les ressources du système administratif actuellement existant, appliquées aux travaux industriels : tels sont les principaux moyens par lesquels la science conduira l’industrie vers cet avenir qu’elle cherche à travers des luttes pénibles.

Le dépôt des produits égyptiens est naturellement transitoire, les denrées sont vendues au fur et à mesure qu’elles sont récoltées ; on ne garde dans les schounas que les céréales, pour les besoins du pays et de l’armée. La valeur du dépôt ne peut donc jamais être bien considérable ; elle ne s’élève pas, terme moyen, au-delà de 8 à 9 millions de francs. Pourtant il arrive quelquefois que certains produits séjournent dans les magasins du gouvernement ; on y a vu jusqu’à 2,500 caisses d’indigo, que personne ne voulait acheter à cause de leur impureté ; récemment une grande quantité de cotons s’y est accumulée d’une manière anormale par l’effet de circonstances extérieures.

Les plantations de cotonniers sur divers points du globe, et le chiffre toujours croissant de la récolte en Amérique, devaient rompre l’équilibre entre la production et la consommation. L’encombrement sur le marché général, et l’abaissement des prix, plus funeste encore aux filateurs qu’aux planteurs, produisirent une crise dans l’industrie cotonnière. Cette crise fit sentir son contre-coup en Égypte. Dans les années 1836 et 1837, plus de la moitié des maisons européennes d’Alexandrie se trouvèrent en état de faillite. Chose singulière, ces désastres doivent être attribués en partie au système des enchères. En effet, depuis l’établissement de ce système, les maisons secondaires, se contentant de bénéfices plus modiques, ne craignaient pas de pousser les lots ; par l’effet de la concurrence, elles avaient fait monter les cotons