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maine ce que vous jugerez convenable. Je souscrirai à tout. Trop heureux que ce soit vous !… Je ne vous aurais pas choisie peut-être ; cependant je me trouve heureux que ce soit vous qui daigniez prendre ce soin. C’est une sorte de lien, mais qu’osai-je dire ? c’est du moins une obligation éternelle que vous m’aurez imposée ; et vous ne pourrez jamais repousser ma reconnaissance, mon respect, mes services, mon dévouement. — Je ne les repousserai pas, m’a-t-elle dit avec des accens enchanteurs ; mais c’est bien plus que je ne mérite. — Je lui ai encore dit : Vous aurez donc encore ce soin ? vous me le promettez ? Cette fille ne souffrira pas ? elle n’aura pas besoin de travailler plus qu’il ne lui convient ? elle n’aura point d’insulte, ni de reproche à supporter ? — Soyez tranquille, m’a-t-elle dit : je vous rendrai compte, chaque fois que je vous verrai, de ce que j’aurai fait ; et je me ferai remercier de mes soins et payer de mes avances. Elle souriait en disant ces dernières paroles. — Il ne sera donc pas nécessaire qu’il la revoie ? a dit le comte. — Point nécessaire du tout, a-t-elle dit avec quelque précipitation. Je l’ai regardée : elle l’a vu ; elle a rougi. J’étais assis à côté d’elle : je me suis baissé jusqu’à terre. — Qu’avez-vous laissé tomber ? m’a-t-elle dit ; que cherchez-vous ? — Rien. J’ai baisé votre robe. Vous êtes un ange, une divinité ! Alors je me suis levé, et me suis tenu debout à quelque distance vis-à-vis d’eux. Mes larmes coulaient ; mais je ne m’en embarrassais pas, et il n’y avait qu’eux qui me vissent. Le comte Max attendri et Mlle de La Prise émue ont parlé quelque temps de moi avec bienveillance. Cette histoire finissait bien, disaient-ils ; la fille était à plaindre, mais pas absolument malheureuse. Ils convinrent enfin de l’aller trouver sur l’heure même chez Mlle de La Prise, où elle travaillait encore. On m’ordonna de rester, pour ne donner aucun soupçon, de danser même, si je le pouvais. Je donnai ma bourse au comte, et je les vis partir. Ainsi finit cette étrange soirée.

Les dernières lettres, qui suivent cette scène, descendent doucement sans déchoir. Mlle de La Prise, depuis ce moment, a quelque chose de changé dans ses manières ; toujours aussi naturelle, mais moins gaie, et, aux yeux de Meyer, plus imposante. Une lettre d’elle, à son amie Eugénie, achève de nous ouvrir son cœur. Elle aime ; la crise passée, elle est heureuse ; elle s’est convaincue de la sincérité, de la loyauté de l’amant : elle n’a pas eu à pardonner. Un peu de fleur est tombé sans doute, mais le parfum y gagne plus profond. « Nous étions certainement nés l’un pour l’autre, dit-elle, non pas peut-être pour vivre ensemble, c’est ce que je ne puis savoir, mais pour nous aimer. » Une maladie de son ami Godefroy force Meyer de partir pour Strasbourg inopinément : il n’a que le temps d’écrire son départ à Mlle de La Prise, avec l’aveu de son amour ; car jusque-là il n’y a pas eu d’aveu en paroles, et cette lettre est la première qu’il ose adresser. Il la confie au loyal Max, qui