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intervalles d’inquiétude sont remplis par l’ennui. Quelquefois je me repose et je me remonte en faisant un tour de promenade avec ma fille, ou bien comme aujourd’hui en m’asseyant seule vis-à-vis d’une fenêtre ouverte qui donne sur le lac. Je vous remercie, montagnes, neige, soleil, de tout le plaisir que vous me faites. Je vous remercie, auteur de tout ce que je vois, d’avoir voulu que ces choses fussent si agréables à voir. Elles ont un autre but que de me plaire. Des lois, auxquelles tient la conservation de l’univers, font tomber cette neige et luire ce soleil. En la fondant, il produira des torrens, des cascades, et il colorera ces cascades comme un arc-en-ciel. Ces choses sont les mêmes là où il n’y a point d’yeux pour les voir ; mais, en même temps qu’elles sont nécessaires, elles sont belles. Leur variété aussi est nécessaire, mais elle n’en est pas moins agréable, et n’en prolonge pas moins mon plaisir. Beautés frappantes et aimables de la nature ! tous les jours mes yeux vous admirent, tous les jours vous vous faites sentir à mon cœur ! »

Le petit Lord a un parent, une espèce de gouverneur, bien différent de lui, et qu’un sérieux prématuré, une tristesse mystérieuse environne. C’est dans la confidence qu’il fait à la mère de Cécile qu’apparaît Caliste. Il aimait dans son pays, il aime toujours Caliste, et celle-ci, créature adorable, l’aimait également ; mais elle avait monté sur le théâtre, elle avait joué dans the Fair Penitent le rôle dont le nom lui est resté ; sa réputation première avait été équivoque. Graces, talens, ame céleste, fortune même, tant de perfections ne purent fléchir un père ni obtenir à son fils le consentement d’épouser. Cette histoire toute romanesque a dans le détail une couleur bien anglaise, quelque chose de ce qu’Oswald, plus tard, reproduira un peu moins simplement à l’égard de Corinne ; et cette première Corinne, remarquez-le, esquisse ingénue de la seconde, a elle-même long-temps vécu en Italie. Après bien des souffrances et des vicissitudes, Caliste, mariée à un autre, pure et dévorée, meurt ; elle meurt, comme cet empereur voulait mourir, au milieu des musiques sacrées ; génie des beaux-arts et de la tendresse, elle exhale à Dieu sa belle ame, en faisant exécuter le Messiah de Haendel et le Stabat de Pergolèse. Celui qu’elle aimait reçoit la nouvelle funeste pendant qu’il est encore à Lausanne ; si on ne l’entourait en ces momens, son désespoir le porterait à des extrémités. Cependant son pupille, le jeune Lord, ne s’est toujours pas déclaré ; Cécile et sa mère partent pour voir leur parente du Languedoc.

Ce roman a l’air de ne pas finir ; il finit pourtant. La conclusion, la moralité, faut-il la dire ? C’est qu’au moment où, à côté de nous, un ami éploré et repentant s’accuse d’avoir brisé un cœur et se tuerait par désespoir d’avoir laissé mourir, vous-même, jeune homme,