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sés d’ornières où se brisent aussi bien vos calèches que les humbles charrettes des paysans. Mais ces malheureux sont accablés sous le poids des charges, aidez-les à les supporter. Contribuez à l’entretien des routes ; les plus petites sommes ainsi placées seront productives. La Hongrie ne demeurera pas privée des bienfaits du commerce ; vos terres augmenteront de valeur, et vous connaîtrez plus de jouissances ; — si le gouvernement me tenait ce langage hors de la diète, et qu’il me demandât de payer, je préférerais rester au fond de la berne avec ma voiture embourbée. J’ai aussi horreur du joug étranger. Subir le lien d’autrui, ne fût-ce qu’un fil, voilà l’esclavage ! Mais s’imposer des entraves, limiter soi-même ses droits, voilà la liberté ! c’est celle des grands peuples, c’est celle de Dieu même. »

Comme l’auteur le prévoyait, ce langage si noble et si vrai blessa au vif tous ceux qui, par peur, par habitude, ou par entêtement, voulaient conserver le régime de la féodalité. Le comte de Széchényi devint le point de mire des attaques des privilégiés. Par les uns, il était signalé comme un traître vendu à la cour de Vienne ; par les autres, comme un fils indigne de la noble Hongrie. Les idées françaises l’avaient entraîné dans une fausse route, et ses projets ne tendaient à rien moins qu’à exciter une révolte des chaumières contre les châteaux. Mais la violence des réfutations dont la brochure du Renégat fut l’objet ne servit qu’à étaler aux yeux de tous les profondes blessures qu’elle avait faites.

Un seul des écrivains du parti stationnaire, tout en s’attaquant à la personne de Széchényi, se posa comme le défenseur des intérêts menacés ; ce fut le comte Dessewfyi. La vieille réputation du comte, l’indépendance et la fermeté de son caractère, l’amitié qui l’avait uni jadis à M. de Széchényi, appelèrent l’attention sur sa réplique. À l’époque où la révolution française atteignait sa sanglante apogée, la Hongrie envoyait aussi ses députés à une diète restée célèbre dans les fastes parlementaires de la nation. Le successeur de Joseph II n’était pas de force à soutenir l’œuvre de cet empereur, et les libéraux hongrois relevaient enfin la tête. Le comte Dessewfyi, par le courage avec lequel il défendit les droits de sa patrie ou plutôt les priviléges de la noblesse contre le pouvoir royal, mérita de devenir le chef des amis de la constitution. Depuis ce temps il a voué à la Bulle d’or un respect sans bornes ; il la regarde comme le code modèle de toutes les nations. Ce fut donc une affreuse douleur pour ce vieux patriote, que de voir les rudes coups portés par l’empereur François à l’objet de son amour chevaleresque. L’intervalle de 1812