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remercier les nobles d’avoir retranché, de leur plein gré, ce qu’il y avait d’excessif dans leurs priviléges, mais ils ont fait plus. Le seul moyen d’attacher les masses à l’ordre établi, c’est de les faire entrer dans la société à un autre titre qu’à celui de machines à exploiter. La vente des biens nationaux, chez nous, à part ce qu’elle a eu d’illégal, a détruit le monopole de la propriété foncière ; elle a divisé le sol entre cinq millions de propriétaires qui, grands ou petits, ont un égal intérêt au maintien de ce qui existe. Dans le régime féodal, après une courte période, il en est autrement. Le paysan cultive sans beaucoup de zèle les terres seigneuriales : incertain de transmettre à ses enfans le sol qui lui est concédé, il se borne à lui demander des récoltes dont l’abondance le mette en état de payer les dîmes et de fournir à sa misérable existence. S’il fait quelques économies, il cache précieusement la somme acquise par de cruelles privations, pour que, le cas échéant d’une rupture avec son maître, le brigandage ne soit point sa seule ressource. La révolte, avec toutes ses fureurs, est la conséquence inévitable d’un tel état d’abaissement. Elle arrive quand la misère pousse le serf à bout, quand la faim désole sa cabane, et que ses bras, amaigris par la fatigue et la maladie, ne peuvent plus se raidir pour pousser la charrue. La Hongrie ne sera pas soumise à cette horrible épreuve ; elle ne proclamera pas sa liberté sur des décombres. Le gouvernement autrichien, s’il est quelquefois d’une prudence pusillanime, a l’instinct de sa conservation ; les princes qui sont à sa tête, et l’empereur régnant surtout, ont gardé sur un plus grand théâtre la bonté qui caractérisait les ducs de Lorraine ; ils éprouvent, il n’en faut pas douter, le désir d’adoucir l’état des dernières classes de leurs sujets.

Le roi a proposé, à la dernière diète, l’établissement des contrats à perpétuité, qui créent un mode de posséder particulier aux habitans des campagnes. L’acceptation de cette mesure est, sans contredit, l’acte le plus important de la diète de 1832-36 ; il jette en Hongrie des germes de prospérité qui, dans les conditions où ce pays se trouve enfin placé, ne tarderont pas à porter leurs fruits. Le paysan peut, aujourd’hui, au moyen d’une somme une fois payée, se racheter, à perpétuité, lui et ses héritiers, de toutes corvées, dîmes et redevances ; il a la possession pleine et entière du sol qu’il laboure et de la maison qu’il habite ; la propriété n’est plus, dans les mains du seigneur, qu’un droit nominal et stérile. Ces rachats, encouragés et facilités par la loi, donneront naissance à une nouvelle