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craindre, avant longues années, une rivalité dangereuse. La réforme commencée s’accomplira donc sans grande secousse, et la Hongrie occupera parmi les nations européennes le rang que lui assigne son heureuse situation.

Après avoir donné à la ville de Pesth le temps qu’elle mérite, je m’embarquai, le 25 mai, sur le Zrinyi, pour continuer de descendre le cours du Danube. Le Zrinyi est le plus beau des bateaux de la compagnie, et son capitaine, M. Francesco Mayr, a pour les passagers une prévenance qui mérite les plus grands éloges. Comme la foire de Pesth devait avoir lieu dans les derniers jours du mois, nous étions peu de voyageurs, et, sans l’importune compagnie de cinq Grecs curieux, remuans et bavards, qui se rendaient à Bucharest avec une cargaison de marchandises de Leipsig, notre traversée n’eût été qu’une belle promenade.

Les rives du Danube offrent peu d’intérêt jusqu’à Mohäcz. Aucun village n’égaie ces vastes prairies qui avaient séduit les compagnons d’Arpad, et où se heurtèrent si souvent les Hongrois et les Turcs. Les paysans, exposés sans cesse aux ravages de la guerre, avaient senti le besoin de se réunir en masse et de s’enfoncer dans l’intérieur des terres ; on ne trouve donc pas, en Hongrie, un seul de ces jolis hameaux si communs en Allemagne ; les villages y ont été fondés dans des jours funestes ; ils sont populeux, mais misérables. Le Danube, en outre, est un voisin dangereux. Les bancs de sable, et ces îles si vertes et si pittoresques qui encombrent son lit, nuisent à l’écoulement des eaux, et sont souvent cause, à la fin de l’hiver, d’une inondation favorable au sol, mais cruelle pour les habitations. Il n’y a, sur la côte, que quelques pauvres huttes de pêcheurs.

À sept heures, les canons du Zrinyi réveillaient les échos de Mohäcz. J’ai voulu voir les lieux où les Hongrois, en 1525, perdirent une bataille qui les livra aux Turcs pour plus d’un siècle. Après avoir traversé la ville, dont les maisons m’ont paru annoncer assez d’aisance, je suis arrivé sur le champ du combat. C’est derrière les montagnes de Fünfkirchen que s’éteignit le dernier jour de l’indépendance nationale. Les Hongrois, au nombre de vingt mille, attaquèrent sans prudence l’armée turque, dont les mouvemens du terrain leur cachaient la force. Louis II, à la tête de ses hussards, fondit sur les janissaires et les mit en fuite ; mais, au moment où il croyait en finir avec ses ennemis, il se trouva sous le feu de quarante pièces de canon, artillerie formidable alors : il ne lui resta plus