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née vers tel ou tel système ; que ses destinées dépendaient des déterminations qu’elle prendrait elle-même, et de l’incapacité ou du talent, de la corruption ou de la droiture de ceux entre les mains desquels tomberait le gouvernement.

Une vue nette, une connaissance exacte de l’état de la France à la mort de Henri IV, nous semblent indispensables pour juger sainement les premières années du règne de Louis XIII. Le défaut de notions suffisantes sur les évènemens précédens, et de précision dans le point de départ, nous frappe dès le premier chapitre de M. Bazin. Il dit qu’après la mort de Henri IV « tout ce que ce prince avait préparé s’évanouissait, et que le pouvoir de commander était à qui le saisirait. » À notre sens, ces deux assertions sont également inexactes. Argent sous la main, armée à une faible distance de la capitale, force militaire présente et suffisante dans un moment de crise, Marie de Médicis eut ce qui était nécessaire pour dominer toutes les prétentions et s’assurer l’autorité. À peine le roi eut-il succombé, que Sully rassembla autour de lui trois cents gentilshommes : son gendre, le duc de Rohan, pouvait, en quelques heures, faire entrer dans Paris les six mille Suisses dont il avait le commandement. Sans nul doute, si Marie de Médicis, témoin, depuis neuf ans, de l’inébranlable fidélité de Sully, eût suivi les inspirations du bon sens le plus vulgaire ; si, au lieu d’agiter avec ses confidens l’arrestation ou la mort du ministre, elle eût livré la famille royale à sa foi et l’état à sa direction, sans nul doute elle eût recueilli pour le jeune Louis XIII l’héritage entier de la puissance de son père ; elle eût fait ployer les grands seigneurs à une entière obéissance ; elle eût détruit dans leur germe les brigues et les guerres civiles, et elle eût pu enfin continuer au dehors la politique ferme et les projets glorieux de Henri IV. D’après les ressources dont elle disposait, et dans l’état réel des affaires, tout ce que Henri IV avait préparé ne s’évanouissait pas nécessairement, et le pouvoir de commander n’appartenait pas à qui le saisirait. M. Bazin, pour ne pas s’être assez rendu compte ni de cet état ni de ces ressources, attribue à la fatalité ce qui ne fut qu’une faute de la passion et de l’aveuglement de la régente.

Un peu plus loin, l’auteur travestit Sully en flatteur peureux d’une espèce d’Harpagon couronné. « Quand il apprit la mort de Henri IV, il alla s’enfermer à la Bastille et se mit en défense, comme si on en voulait soit à sa personne, soit à ses coffres bien garnis de deniers, dont il réjouissait naguère la vue de son bon maître. » Pour s’exprimer de la sorte sur Henri IV et sur Sully, il faut mettre en oubli toute leur vie et toute leur administration. Sully exposa ses jours en soixante combats ou rencontres, et, dans l’armée de Henri IV, dans l’armée des braves, il fut proclamé le brave par excellence. Quant à l’usage que le ministre et le roi firent des deniers publics, est-il nécessaire de le rappeler ? ils s’en servirent pour acquitter près de la moitié de la dette de 310 millions de ce temps-là, pour soulager le peuple en diminuant la taille de 5 millions et la gabelle de moitié, pour mettre