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Tel était l’état des choses en 1624, quand Richelieu entra au ministère. Les parties constitutives de l’autorité royale avaient été bien moins entamées que sous les derniers Valois. Marie de Médicis et Luynes n’avaient pas eu affaire, heureusement pour eux, à des passions sérieuses et profondes, comme celles du temps de la Ligue, au fanatisme religieux commun aux deux partis, et à des ambitions pareilles à celle d’un duc de Guise, dont la devise véritable était le trône ou la mort. La royauté n’avait pas non plus à se reprocher la Saint-Barthélemy et les mignons, ces monstrueux excès qui rendaient l’obéissance impossible. Le pouvoir royal ne courait donc pas les mêmes risques sous Louis XIII que sous Henri III : il n’était pas en danger de succomber. Grand nombre de provinces et de villes, qui ne se sentaient ni blessées dans leur honneur, ni inquiétées dans leur religion, et qui soupiraient après la tranquillité et le bonheur de tous les jours, restaient inébranlables dans leur fidélité à la couronne. Mais les faibles ministres de Louis XIII n’avaient rien ôté à l’énorme puissance que Henri IV, dominé par les circonstances, avait accordée aux huguenots. De plus ils avaient laissé les principaux seigneurs usurper l’indépendance et l’impunité, et reconstituer sur divers points du royaume une féodalité bâtarde et de nouvelle date. Sans exagérer la gravité des dangers présens, l’importance et la difficulté de ce qu’il eut à faire plus tard, Richelieu, dans sa Succincte narration pouvait donc dire à Louis XIII : « Lorsque votre majesté résolut de me donner grande part en sa confiance, pour la direction des affaires, je puis dire avec vérité que les huguenots partageaient l’état avec elle, que les grands se conduisaient comme s’ils n’eussent pas été ses sujets, et les plus puissans gouverneurs comme s’ils eussent été souverains en leur charge. »

L’état n’en était qu’au désordre ; mais, pour le conduire à la subversion, il suffisait de circonstances malheureuses. Outre ces dangers de l’avenir, ce qu’il y avait de déplorable dans le présent, c’est que l’argent, les forces, le temps, l’esprit de la France, comme l’action du gouvernement, au lieu de se porter vers les grands objets signalés par le tiers-état de 1614, vers la prospérité matérielle, vers la culture morale, s’usaient dans le combat et la répression de la révolte. C’est qu’au dehors l’on avait laissé les deux branches de la maison d’Autriche se relever, ranimer et concerter de nouveau ensemble leurs projets de domination universelle. Ferdinand II avait détruit le parti de l’électeur Palatin, dissous l’union protestante, mis les princes au ban de l’empire, et déchiré sa constitution. Déjà il s’apprêtait à soumettre l’Allemagne et à y détruire le luthéranisme. L’Espagne s’était emparée de la Valteline pour établir une communication entre ses possessions d’Italie et les pays appartenant à la branche autrichienne. L’indépendance politique et religieuse de l’Europe était de nouveau mise en question ; et la France ne comptait plus pour rien dans sa politique, ne pouvait plus rien sur ses destinées, et se voyait menacée elle-même dans son avenir.

Ce fut dans ces circonstances que Richelieu arriva au pouvoir, ou plutôt fut jeté sur la brèche. Les précédens ministres avaient laissé les seuls sei-