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supérieure à celle du roi de France. En 1638, Richelieu mit sur pied sept armées, qui, avec les garnisons, ne comptaient pas moins de cent quatre-vingt mille soldats. En 1640, ce nombre fut encore augmenté, et la France eut en campagne plus de cent régimens d’infanterie et de trois cents cornettes de cavalerie. « Les préparatifs de l’année 1640, dit Richelieu lui-même, en s’adressant au roi, étonneront sans doute la postérité, puisque, lorsque je me les remets devant les yeux, ils font le même effet en moi, bien que, sous votre autorité, j’en aie été le principal acteur[1]. » Telle fut la force militaire qu’il donna à la France, qu’il légua à Mazarin et à Louis XIV. Les soldats étaient disciplinés, aguerris, animés par l’orgueil de dix années de victoires. Les généraux, entre lesquels l’on comptait Guébriant, Harcourt, Turenne, avaient peu de rivaux en Europe. La France, par-dessus tout, avait le sentiment de sa puissance et de sa grandeur. Richelieu lui avait communiqué sa force d’idées et de déterminations. Elle avait, en traversant le Rhin, constamment transporté le théâtre de la guerre en Allemagne : l’Espagne lui était ouverte par la Catalogne ; l’Italie par Pignerol, qu’elle occupait. Ses alliances embrassaient le tiers de l’Europe.

Richelieu travailla à donner à la France la même supériorité sur mer que sur terre, à la constituer puissance maritime en même temps que puissance continentale. Dans la première guerre contre les réformés, en 1621 et 1622, le gouvernement fit quelques efforts pour ne pas leur abandonner entièrement la mer ; mais les faibles conseillers de la couronne quittèrent bien vite l’attitude qu’ils avaient prise. La paix faite, la marine fut à ce point abandonnée que, lors de la seconde guerre contre les huguenots, en 1625, « le roi n’avait pas un seul vaisseau » qu’il pût diriger contre les Rochellois révoltés. Richelieu était entré au ministère, mais la marine n’était pas de son département. Il lui fallut des prodiges d’habileté diplomatique pour amener les Anglais et les Hollandais à prêter à la France vingt-huit vaisseaux, et à les joindre au petit nombre de navires que le gouvernement équipa en toute hâte. Dans tout le cours de cette guerre et notamment à la bataille navale de la Fosse de l’Oye, le chef de la flotte royale, Montmorency, fut réduit à monter le vaisseau amiral des Hollandais, et les officiers français se virent obligés de mettre l’épée sous la gorge aux Hollandais pour les contraindre à ne pas trahir Louis XIII au profit des Rochellois[2]. En 1627, Richelieu prit la surintendance de la navigation, et la France sortit aussitôt de cette précaire et honteuse situation. Il éleva des arsenaux, les remplit de matériaux et de munitions, équipa trente-neuf grands vaisseaux et plus de cent vingt bâti-

    tom. vii, pag. 246, collection Michaud). D’autres historiens, mais mal instruits à ce qu’il semble, portent cette armée à 20,000 soldats.

  1. Narration succincte de Richelieu.
  2. « Il fallut que le chevalier de Saint-Julien portât l’épée à la gorge d’un capitaine Hollandais, sur le vaisseau duquel il commandait, parce qu’il ne voulait pas aborder un vaisseau ennemi. » (Richelieu, Mémoires.)