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SALON DE 1839.

étaient ceux qu’on voit dans une carrière à ciel ouvert. Il en résultait que les figures avaient l’air de pygmées.

Le Café de l’Asie mineure, 503, la Rue d’un village des États romains, 502, le Souvenir d’une villa, 505, les Bourreaux à la porte d’un cachot, 508, les Cavaliers turcs, 509, offrent une telle richesse de tons, une si grande et si habile diffusion de lumière, des eaux si transparentes, une couleur si riche et si suave, une exécution si fine et si ferme, que je n’ai pas le courage d’ajouter à ces justes éloges les critiques que peuvent mériter de légères négligences.

Figurez-vous un mur couronné de créneaux, et bien garni vers le milieu de sa hauteur de grands crochets acérés, couverts d’une rouille sinistre et disposés en quinconce. Un pacha vous fait empoigner un homme qu’on laisse glisser perpendiculairement le long de ce mur abominable. Le malheureux ne tombe pas à terre ; vous devinez le reste. C’est le singulier sujet qu’a choisi M. Decamps, no 501. Je me hâte de dire qu’il en a sauvé l’horreur en partie, en plaçant ses crochets dans un lointain suffisamment vague, qui ne permet pas de voir les détails de l’exécution. Les premiers plans sont occupés par les curieux qui, dans tous les pays du monde, se rassemblent en foule lorsqu’on fait mourir un homme pour l’instruction des autres. Personne ne possède mieux que M. Decamps l’art de représenter une immense multitude, et la vérité d’aspect de ce tableau est telle qu’à la première vue on éprouve, comme dans la nature, une certaine difficulté à s’arrêter sur un détail. Inutile de louer ici la couleur, la fidélité des costumes, l’apparence tout orientale de la scène. C’est dans ce tableau que M. Decamps a placé les plus grandes figures que je connaisse de lui. Si quelques-unes sont un peu incorrectes, en revanche il y en a beaucoup touchées à merveille, et bien que leurs physionomies soient empruntées à des types vulgaires, elles portent toutes un caractère bien prononcé et évidemment pris sur la nature. Le groupe des gendarmes, on les appelle, s’il m’en souvient, serdenghetcheti, est parfaitement composé, et les allures de ces messieurs rendues avec une exactitude étonnante. Surtout ce gros joufflu qui, commodément campé sur son cheval, observe l’exécution avec l’impassibilité d’un amateur blasé, ne serait pas désavoué, je crois, par un Teniers ou un Van-Ostade.

Je me suis arrêté long-temps aux tableaux de M. Decamps ; mais ils sont de ceux qu’on découvre de loin dans la galerie et dont on ne s’éloigne qu’avec peine.

(La suite au prochain no .)