Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
REVUE DES DEUX MONDES.

ment en quelques occasions devait se ranger et saluer ; à la religion, il fallait des hécatombes, non des croyances ; elle était politique pour les Romains, poésie pour les Grecs, habitude et besoin pour tous, doctrine pour personne, une loi et non une foi.

Mais n’allez pas croire que la philosophie fût une bien plus grande puissance au monde que la religion. Nulle époque, au contraire, n’est plus superstitieuse que celle-ci. Il est vrai, et nous l’avons dit, les dieux de Rome ne sont plus en faveur, ils sont tombés avec l’ordre politique qu’ils soutenaient. Ils ont cependant encore leurs adorateurs : Jupiter a au Capitole des serviteurs volontaires de toute espèce, des licteurs debout auprès de son trône, des valets de chambre (nomenclatores) qui lui annoncent ses visiteurs, d’autres qui lui servent de watchmen et lui disent l’heure ; Jupiter ne sait pas lire au cadran. Des coiffeurs frottent et parfument cette statue ; des femmes sont à peigner les cheveux de pierre de Minerve ; d’autres lui tiennent le miroir : tant il est vrai que, selon la croyance publique, l’idole est, non l’image du dieu, mais le dieu lui-même. Cet homme appelle le dieu à venir témoigner pour lui devant les juges, cet autre lui offre un placet, ce vieil acteur vient débiter ses rôles devant lui, et, sifflé du public, se résigne à ne plus jouer que pour les dieux. Caligula n’était pas si fou, et ressemblait à tout son siècle, quand il venait causer avec ses dieux. Jupiter a des amantes qui soupirent pour lui et bravent la jalousie de Junon.

Hors de Rome, la Syrie pleure son Adonis et adore sa mystérieuse déesse. L’Afrique, malgré la police romaine, immole encore ses enfans au Vieux, à l’Éternel, à Baal[1]. Germanicus se fait initier aux grossiers mystères de Samothrace, au culte des Cabires au gros ventre. Lui, Agrippine, Vespasien, consultent les dieux de l’Égypte. La Grèce garde sa religion homérique ; facile et complaisante, elle y mêle le culte des empereurs, place César sur le trône d’ivoire de Jupiter, et met à côté de sa chaste Diane toutes les Julies et toutes les Drusilles de Rome. Mais ce n’est pas qu’elle abandonne son ancienne foi, qu’Éleusis manque d’initiés, que dans ce peuple de dieux il y ait si obscur vilain qui n’ait au moins sa chapelle, que deux cents ans plus tard Pausanias ne décrive encore par milliers les temples, les oratoires, les statues. Éphèse vit de son temple ; toute une classe d’artisans ne fait que vendre de petites statues d’or et d’argent de la grande Diane ; et quand, à la face de cette grossière

  1. Augustin., De Consensu Evangel. l. 23, § 36.