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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

sur le rapport qui peut exister entre votre paisible subjectivité et l’objectivité délirante de tous ces petits pieds qui dansent là-bas sur l’herbe ! Comment ! ces robes blanches qui passent et repassent comme des ombres à travers les bosquets, ne vous font pas tressaillir, et votre plume court sur le papier comme si c’était une ronde de wachtmen qui interrompt le silence de la nuit !

albertus.

Ce que j’éprouve à l’aspect d’une fête ne peut t’intéresser que médiocrement. Mais toi-même, qui me reproches mon indifférence, comment se fait-il que tu rentres de si bonne heure ?

wilhelm.

Cher maître, je vous dirai la vérité : je m’ennuie là où je suis sûr de ne pas rencontrer Hélène.

albertus, tressaillant.

Tu l’aimes donc toujours autant ?

wilhelm.

Toujours davantage. Depuis qu’elle a recouvré la raison, grâce à vos soins, elle est plus séduisante que jamais. Ses souffrances passées ont laissé une empreinte de langueur ineffable sur son front, et sa mélancolie, qui décourage Carl et qui déconcerte Hanz lui-même, est pour moi un attrait de plus. Oh ! elle est charmante ! Vous ne vous apercevez pas de cela, vous, maître Albertus ! Vous la voyez grandir et embellir sous vos yeux, vous ne savez pas encore que c’est une jeune fille. Vous voyez toujours en elle un enfant ; vous ne savez pas seulement si elle est brune ou blonde, grande ou petite.

albertus.

En vérité, je crois qu’elle n’est ni petite, ni grande, ni blonde, ni brune.

wilhelm.

Vous l’avez donc bien regardée ?

albertus.

Je l’ai vue souvent sans songer à la regarder.

wilhelm.

Eh bien ! que vous semble-t-elle ?

albertus.

Belle comme une harmonie pure et parfaite. Si la couleur de ses yeux ne m’a pas frappé, si je n’ai pas remarqué sa stature, ce n’est pas que je sois incapable de voir et de comprendre la beauté ; c’est que sa beauté est si harmonieuse, c’est qu’il y a tant d’accord entre son caractère et sa figure, tant d’ensemble dans tout son être, que