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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

un cœur généreux s’engourdit et se dessèche au milieu des indifférens qui l’oublient ou le méconnaissent, lyre, image de mon ame ! entre les mains d’un grand artiste, tu aurais rendu des sons divins, et telle que te voici, abandonnée, détendue, placée sur un socle pour plaire aux yeux, comme un vain ornement, tu n’es plus qu’une machine élégante, une boîte bien travaillée, un cadavre, ouvrage savant du créateur, mais où le cœur ne bat plus, et dont tout ce qui vit s’éloigne avec épouvante… Eh bien, moi ! je te réveillerai de ton sommeil obstiné. Un instrument mort ne peut vibrer que sous la main d’un mort…

(Il approche du socle et prend la lyre.)

Que vais-je faire, et quelle folle préoccupation s’empare de moi ? Quand même cette lyre détendue pourrait rendre quelques sons, ma main inhabile ne saurait la soumettre aux règles de l’harmonie. Dors en paix, vieille relique, chef-d’œuvre d’un art que j’ignore ; je vois en toi quelque chose de plus précieux, le legs d’une amitié à laquelle je n’ai pas manqué, et le pacte d’une adoption dont je saurai remplir tous les devoirs.

(Il replace la lyre sur le socle.)

Essayons de terminer ce travail. (Il se remet devant sa table. — S’interrompant après quelques instans de rêverie.) Comme Wilhelm songe à ma pupille ! Quelle puissance que l’amour ! passion fatale ! celui qui te brave est courageux ; celui qui te nie est insensé !… Hélène acceptera-t-elle celui qu’elle a déjà refusé ?… Il me semble qu’elle préfère Hanz !… Hanz a une plus haute intelligence, mais Wilhelm a le cœur plus tendre, et les femmes ont peut-être plus de plaisir à être beaucoup aimées qu’à être bien dirigées et bien conseillées… Carl aussi est amoureux d’elle… c’est une tête légère… mais c’est un bien beau garçon… Je crois que les femmes sont elles-mêmes légères et vaines, et qu’un joli visage a plus de prix à leurs yeux qu’un grand esprit… Les femmes ! Est-ce que je connais les femmes, moi ?… Quel sera le choix d’Hélène ?… Que m’importe ? Je lui conseillerai ce qui me semblera le mieux pour son bonheur, et je la marierai, après tout, selon son goût… — Puisse cette belle et pure créature n’être pas flétrie par le souffle des passions brutales !… Ah ! décidément, je ne travaille pas… Ma lampe pâlit. Il faudra bien que ceci suffise pour la leçon de demain. Essayons de dormir, car dès le jour mes élèves viendront m’appeler. (Il se couche sur son grabat.) Hélène n’a guère d’intelligence non plus. C’est un esprit juste, une conscience droite ; mais ses perceptions sont bornées, et la moindre subtilité métaphysique l’embarrasse ou la fatigue… Wilhelm lui conviendrait mieux que Hanz… Je m’occupe trop de cela. Ce n’est pas le moment…