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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/173

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LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

celui de nous qui ne donnerait au moins la moitié de sa grosse santé bourgeoise pour avoir à la place les visions dorées de la poésie ?

albertus.

Hanz, vous ne parlez pas selon mes sympathies. Êtes-vous un poète ou un adepte de la sagesse ? Si vous êtes poète, faites des vers et quittez mon école. Si vous êtes mon disciple, n’égarez pas l’esprit de vos frères par des paradoxes romantiques. Toutes ces inspirations de la fièvre, toutes ces métaphores délirantes constituent un état de maladie purement physique durant lequel le cerveau de l’homme ne peut produire rien de vrai, rien d’utile, par conséquent rien de beau. Je comprends et je respecte la poésie, mais je ne l’admets que comme une forme claire et brillante, destinée à vulgariser les austères vérités de la science, de la morale, de la foi, de la philosophie en un mot. Tout artiste qui ne se propose pas un but noble, un but social, manque son œuvre. Que m’importe qu’il passe sa vie à contempler l’aile d’un papillon ou le pétale d’une rose ? J’aime mieux la plus petite découverte utile aux hommes, ou même la plus naïve aspiration vers le bonheur de l’humanité. Les exaltés sont, selon vous, des sibylles inspirées, prêtes à nous révéler de célestes mystères. Il est possible que, sous l’empire d’une exaltation étrange, ils aient un sens très étendu pour sentir la beauté extérieure des choses ; mais s’ils ne trouvent une langue intelligible pour nous associer à leur enthousiasme, cette contention de l’esprit dans une pensée d’isolement ne peut être qu’un état dangereux pour eux, inutile pour les autres.

hanz.

Eh bien ! maître, il est temps que je vous le dise franchement, je suis poète ! Et pourtant je ne fais pas de vers, et pourtant, à moins que vous ne me chassiez, je ne vous quitterai point ; car je suis philosophe aussi, et l’étude de la sagesse ne fait qu’exalter mon penchant à la poésie. Pourquoi suis-je ainsi ? et pourquoi êtes-vous autrement ? et pourquoi Hélène est-elle autrement encore ? Je puis concilier les idées d’ordre et de logique avec l’enthousiasme des arts et l’amour de la rêverie. Vous, au contraire, vous proscrivez la rêverie et les arts, car l’une ne peut être convertie en une laborieuse méditation, et les autres s’inspirent souvent avec succès des désordres de la pensée et des excès de la passion. Hélène, dans sa folie, appartient encore à un autre ordre de puissance. Elle est absorbée dans une poésie si élevée, si mystérieuse, qu’elle semble être en commerce