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d’amour qui s’exhale des lèvres de Cimarosa, ne semble pas faite pour emporter vers le ciel la rime incomparable de l’amant de Laure, et si l’inspiration aérienne de Weber n’est pas sœur de la fantaisie harmonieuse d’Hoffmann ou de Novalis ? Et maintenant, si nous venons en France, dites-moi si les noms de Dalayrac, de Boieldieu et d’Auber ne sont pas autant de charmantes étoiles d’où jaillit par étincelles tout cet esprit que vous avez ?

D’ailleurs, pourquoi demander toujours à l’art les mêmes conditions ? et la variété, cette loi de vie et de jeunesse qui est écrite partout dans la nature, que deviendrait-elle, à ce compte ? Les uns ont l’esprit élégant et vif, l’esprit qui sait fredonner à table de joyeuses chansons, et siffler de jolis airs au clair de lune ; les autres, le génie austère et puissant, la grande voix de l’urne qui cherche les solitudes et les hauteurs escarpées, et ne chante qu’au bord du précipice ou du torrent, — la nuit, lorsque la tempête gronde et que tous les élémens soulevés accompagnent sa plainte comme un orchestre immense. Le rossignol ne chante pas comme le cygne, et cependant qui de nous n’a tressailli, au mois de mai, quand cette voix des nuits mélodieuses s’éveille tout-à-coup, un beau soir, dans les accacias baignés de lumière ? Quelle sonore vibration ! quel timbre ! quelle vive chanson qui se renouvelle sans cesse ! le rossignol, c’est la verve inépuisable, c’est l’esprit qui ne tarit jamais. Certes le cygne a dans la voix un accent ineffable de mélancolie et d’amour, une inspiration sans pareille, une note divine et dont la nature entière s’émeut ; mais cette note ne s’exhale qu’une fois, sans retour, et passe avant que vous ayez pu vous recueillir pour l’entendre. Je crains bien que Beethoven n’ait été notre cygne. Le rossignol, au contraire, recommence chaque nuit, aux mêmes heures, dans le même feuillage, et tout le printemps fait chanson qui dure. En fait d’art comme en toute chose, il est important d’éviter la confusion et de ne vouloir provoquer chacun que selon sa mesure. Demander aux Français, qui causent avec tant d’esprit, une musique élevée et sublime où les grandes voix de la nature trouvent çà et là leurs échos, une expression puissante qui tende sans relâche aux régions de l’épopée et s’y maintienne, la rêverie dans le bois qui se dépouille, l’amour mélancolique, le sentiment de l’infini, autant vaudrait demander, aux frais arbustes où mille oiseaux s’éveillent dans la rosée du matin, les sombres frémissemens et les prophétiques rumeurs de nos grands chênes druidiques. Vous dites qu’il n’y a pas de musique en France ; qu’entendez-vous par là ? Il s’agit cependant de s’expliquer sur ce point, et de savoir à quelle nation vous attribuez certaines œuvres qui valent bien qu’on y prenne garde. Hier on a joué Zampa à Kartner-Thor, aujourd’hui c’est la Dame Blanche ; demain ce sera la Muette ou le Philtre ; et nous autres Allemands, nous appelons cela tout simplement de la musique française.

M. Auber appartient à cette école française qui, pour servir de risée, par intervalles, à certains esprits turbulens que leur impuissance dévore, n’en est pas moins fort bien prise au sérieux partout, car elle a, elle aussi, nous pouvons le dire, son caractère distinctif, son individualité propre, peu tranchée sans nul doute, plutôt nuance que couleur, mais qu’on ne peut mécon-