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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/244

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mes découvertes personnelles que je vais rendre compte ; et malgré la longueur de mon premier article, je n’ai pas encore signalé la moitié des ouvrages qui attirent généralement l’attention.

Lorsqu’un système nouveau s’est fait jour, et qu’il est parvenu à obtenir la faveur du public, il est rare qu’elle ne lui soit pas disputée par une opposition qui suit la route diamétralement contraire. Quelquefois cette opposition est la protestation d’un talent original et convaincu qui se révolte contre l’aveuglement de son époque ; plus souvent, c’est le calcul d’un esprit ami du paradoxe, qui comprend que pour se faire remarquer dans les arts, il est bon de s’isoler. Dans ma lettre précédente, j’ai signalé la tendance au dramatique de l’école moderne ; aujourd’hui, je vais examiner les ouvrages de deux artistes qui, par le choix de leurs sujets et l’apparente simplicité de leurs moyens, ont voulu se séparer du plus grand nombre, et qui plantent chacun une bannière nouvelle. J’ai choisi M. Ziégler et M. Flandrin, comme les chefs de cette opposition ; ce sont aussi les plus sages et les plus habiles. J’en pourrais citer d’autres, tels que M. Doussaut, qui, poussant jusqu’à l’exagération la haine du goût moderne, prétendraient faire rétrograder la peinture jusqu’au XIIIe siècle. C’est une tentative nécessairement malheureuse et qui doit être bientôt abandonnée.

Le sujet traité par M. Ziégler est la Vision de saint Luc, no 2140, à qui la Vierge apparaît lorsqu’il travaille dans son atelier. En ma qualité de luthérien, je connais peu la légende ; j’ignore si le portrait était commandé, si la Vierge donna séance, ou si elle se contenta d’inspirer mystérieusement son peintre officiel. Occupons-nous seulement du tableau de M. Ziégler. Le saint, vu de profil, et revêtu d’une longue robe brune, peint avec une extrême attention, tandis que dans le haut de la toile la Vierge tient dans ses bras l’enfant Jésus ; elle est portée sur un nuage. Toute la disposition est grave, calme et bien appropriée au sujet. Le saint Luc est d’un bon modelé, d’une couleur ferme, et sa draperie forme un repoussoir convenable, qui met les autres figures à leur plan. À mon avis, sa tête manque de noblesse, son expression étant celle d’un ouvrier plutôt que d’un artiste. Il semble moins préoccupé de son céleste modèle que de la touche qui va poser. Si cette observation est une critique, elle porte sur l’intention de l’auteur et non sur l’exécution ; car c’est à dessein, je n’en doute pas, qu’il n’a pas donné à son saint un air inspiré. Probablement, il a voulu imiter la naïveté des anciens maîtres, mais cette naïveté n’est plus de notre temps, et aujourd’hui elle ressemble